Mis à jour : samedi 22 février 2020

Entretien avec Hirokatsu Kihara :
Début de carrière et travail au studio Ghibli

Pourquoi avez-vous décidé de travailler dans le secteur de l’animation ?

Depuis mon plus jeune âge et encore au moment d’entrer à l’université, j’adorais les mangas, les dessins animés et les histoires de monstres ou de fantômes. Bien avant de travailler sur Nausicaä de la Vallée du Vent, j’avais, alors que j’étais encore lycéen, fait le voyage d’Ôsaka à Tôkyô pour visiter le studio Topcraft et voir la création du Hobbit. À l’époque, seul ce studio créait des films en collaboration avec les États-Unis. J’ai été attiré par le processus de création du Hobbit, qui avait quelque chose de magique. Cela a renforcé ma décision d’intégrer le studio Topcraft.
Ensuite, Topcraft a accueilli Hayao Miyazaki, qui a réalisé Nausicaä de la Vallée du Vent. J’ai intégré le studio après la sortie de Nausicaä. Environ un an plus tard, le studio Topcraft a été dissous car il lui devenait difficile structurellement de continuer à produire des séries d’animation.
À ce moment, il fut décidé de disposer de nombreux documents, mais j’ai obtenu de M. Hara, le président de Topcraft (et futur premier directeur général du studio Ghibli), la permission d’en conserver certains.
Par ailleurs, si j’ai obtenu la permission de M. Hara de conserver des documents durant ma période chez Ghibli, je pense que c’est aussi parce qu’il se souvenait de cela. Si l’on conserve un document, aussi insignifiant soit-il, on peut lui trouver une utilité à l’avenir, mais si on le jette, même le restaurer devient impossible. Même une simple photocopie peut avoir une utilité plus tard.

Test de couleur (celluloïd) pour Mon voisin Totoro. C’est dans cette couleur définitive que le celluloïd pour les posters sera coloré. Dans l’œuvre finale, il était déjà décidé de la présence des deux sœurs Satsuki et Mei, mais pour ce poster, le choix fut fait de laisser un seul personnage, avec Satsuki et Mei dessinées en double image. En outre, ce Totoro pourrait sembler ne pas avoir de bouche, mais il en a bel et bien une.

Comment êtes-vous entré au studio Ghibli ?

M. Hara, président de Topcraft, devint le premier directeur général de Ghibli. Or, comme j’avais été son subalterne auparavant, c’est ainsi que j’ai été recruté. Je n’avais alors que 25 ans et j’avais commencé à travailler pour une autre entreprise du secteur de l’animation après la fermeture de Topcraft. Cependant, je remercie encore aujourd’hui M. Hara de m’avoir fait confiance et de m’avoir appelé. Après Le château dans le ciel, M. Miyazaki a sans doute reconnu mes efforts et j’ai été promu directeur de la production après seulement un film.
M. Miyazaki juge les gens uniquement sur le travail, sans se préoccuper de leur expérience. Il est toujours en train d’observer le travail de son équipe et n’hésite pas à promouvoir quelqu’un qui fait du bon travail, même s’il débute, à partir du moment où il souhaite travailler avec lui. Peu lui importe l’âge ou l’expérience. Ce qu’il valorisait le plus, c’était le talent, les idées et la passion. Il accordait également beaucoup d’importance à la capacité à communiquer.
M. Takahata et M. Miyazaki respectaient tout particulièrement les gens volontaires et prudents. Et ils aimaient ceux qui travaillaient avec ardeur sur leurs projets. Je crois que c’est pour cela qu’ils m’ont reconnu malgré mon manque d’expérience et mon jeune âge.

Dessin de Hayao Miyazaki représentant Hirokatsu Kihara se faisant interroger par la police pour une infraction au stationnement. Il est interdit de se garer devant l’entreprise, mais ce jour-là, Kihara s’y était garé dans son empressement pour aller au travail (extrait du Roman Album de Mon voisin Totoro).

Il parait que M. Miyazaki et M. Takahata n’aiment pas beaucoup les otakus. Comment font-ils la part entre professionnalisme et enthousiasme de fan ?

Pendant que je travaillais, je faisais en sorte de contenir mon enthousiasme d’otaku au plus profond de moi. Sans professionnalisme, il est impossible de travailler dans quelque studio que ce soit. Je me concentrais uniquement sur la gestion et la progression du projet. Je pouvais redevenir moi-même la nuit, lorsqu’il n’y avait plus grand monde au studio. C’est uniquement dans ces moments que je pouvais laisser place à ma ferveur d’otaku.
Tous les deux réalisaient des films d’animation, mais au-delà de ça, ils possédaient une grande ouverture d’esprit. Ils n’étaient pas intéressés par les personnes qui n’aimaient que l’animation. Ils avaient un profond respect pour les spécialistes ou les experts de toutes sortes de domaines.
Yasuo Ôtsuka, l’un de leurs grands amis, n’était pas uniquement un excellent chef animateur. Il était aussi un spécialiste des véhicules militaires américains, à commencer par la Jeep.

Ces dernières années, environ 3 500 photographies ont été numérisées. La plupart d’entre elles sont des photos du studio pendant la création du Château dans le ciel et de Mon voisin Totoro ou des photos de fêtes de célébration de la sortie des films.
« J’en ai posté une sur Twitter. Elle montre Hayao Miyazaki et moi-même au moment de la création du Château dans le ciel. Cette photo fut prise il y a 34 ans. Nous étions encore jeunes à l’époque ! »

Avez-vous envoyé toutes ces photographies à M. Miyazaki ?

Non, M. Miyazaki n’est pas du genre à vouloir conserver des photos-souvenirs. C’est un véritable génie lorsqu’il s’agit de création. En revanche, sa manière d’aborder les relations personnelles est particulière. Il n’est pas aisé de développer une relation avec lui. Il n’accorde pas sa confiance facilement, surtout dans le cadre du travail. Mais lorsqu’il accorde sa confiance à quelqu’un, il veut ensuite travailler à ses côtés.
Pour lui, le plus important est de réaliser un film conforme à l’idée qu’il s’en faisait. À force de trop se concentrer sur son travail, il lui arrive même d’avoir oublié le nom de certains membres de l’équipe quand arrive la fin du projet !
Je considère le fait qu’il m’ait accordé sa confiance alors que j’étais si jeune comme une expérience particulièrement précieuse et enrichissante.

Hayao Miyazaki a choisi M. Kihara comme modèle pour le visage du chat-bus qui apparait dans Mon voisin Totoro. C’est une tête très bizarre, mais est-elle ressemblante ?

Yasuo Ôtsuka a-t-il travaillé officiellement au studio Ghibli ?

Non. À l'époque, il travaillait dans un autre studio. Ainsi, il a déjà visité le studio Ghibli, mais il n'y a jamais travaillé. Pour messieurs Takahata et Miyazaki, M. Ôtsuka était une personne très importante, de par sa longue expérience dans le domaine de l'animation. Sans lui, ils n'auraient sans doute pas pu exprimer tout leur talent.