Exposition Mondes et Merveilles du dessin animé
Grimault, Takahata, Miyazaki (2008)
De 28 juin au 16 novembre 2008, l’abbaye de Fontevraud (49), haut-lieu culturel et historique où se trouve la nécropole royale des Plantagenêt, a accueilli l’exposition Mondes et Merveilles du dessin animé, Grimault, Takahata, Miyazaki.
Pour les connaisseurs du Studio Ghibli et de l’animation en général, le lien entre l’œuvre de Paul Grimault d’une part et celles de Miyazaki et Takahata d’autre part semble évident. Les amateurs connaissent l’affection particulière qu’ont les deux réalisateurs japonais pour le film La Bergère et le Ramoneur (qui deviendra ensuite Le Roi et l’Oiseau).
Cependant, l’exposition ne se contente pas de mettre en avant ce lien affectif et de retracer une cinématographie linéaire du parcours des trois réalisateurs. Elle permet surtout de comprendre que ces trois artistes ont une approche particulière du rapport entre dessin animé et réalité et que chacun a su développer une dimension politique et parfois même revendicative et engagée du merveilleux.
Scénographie
L’exposition s’ouvre tout d’abord sur l’œuvre de Grimault, où l’on s’attable à un charmant café parisien des années 30, reconstitué pour l’occasion. Des extraits vidéo et des photos d’époque nous retracent sur fond de Front Populaire les amitiés de Grimault avec Jacques Prévert, appartenant au fameux Groupe Octobre. Lors des grèves et autres manifestations populaires, cette troupe, proche du parti communiste français, se produisait dans la rue afin de diffuser les idées marxistes.
Grimault n’appartenait pas à ce groupe mais fréquentait donc régulièrement ce milieu bouillonnant d’idées révolutionnaires. Il fait d’autres rencontres artistiques : Django Reinhardt, George Meliès, Marcel Carné,… C’est à cette période qu’il réalise des films publicitaires avec comme support le dessin animé. En 1936, il fonde avec André Sarrut la société Les Gémeaux, qui réalise des films et des annonces publicitaires. La guerre éclate et fait cesser tout travail. En 1940, Grimault est démobilisé et reste sur Paris, alors que Sarrut est prisonnier en Allemagne.
En 1942, il réalise deux courts-métrages, L’épouvantail et Le voleur de para-tonnerre, dont des extraits et des esquisses sont visibles ici. On découvre un Paul Grimault déjà fasciné par les envolées sur les toits, présageant celles du ramoneur dans Le roi et l’oiseau, et démontrant une virtuosité de mise en scène pour les scènes vertigineuses.
Le Petit soldat, film d’animation de 1947, est le premier travail commun de Grimault et Prévert, sur une musique de Kosma, dont nous découvrons des extraits, des croquis, des story-boards. Ce court métrage, inspiré d’un conte d’Andersen raconte l’histoire tragique de deux jouets vivants, un soldat de plomb blessé et une poupée de son, leur histoire d’amour étant rendue impossible à cause d’un diable sorti de sa boîte, ayant volé la clé servant à remonter le cœur du petit soldat. Poétique, lyrique et émouvant, le court-métrage remporte de nombreux prix et est un magnifique prélude au film le plus connu du duo Grimault-Prévert, Le Roi et l’Oiseau.
Pour ce dernier, on retrouve le scénario aussi émouvant que lyrique de Prévert, la poésie visuelle de Grimault, son attrait pour la verticalité de la mise en scène et les scènes de vols. Mais on aborde également l’aspect engagé des deux auteurs, qui dénoncent ici le fanatisme et le danger du roi-tyran Charles V et III font huit, l’obéissance sans discernement de la police au service de la dictature, et enfin les méfaits de la guerre.
Nous découvrons ensuite d’autres extraits et d’autres travaux préparatoires des films de Grimault, comme le court-métrage engagé La faim dans le monde, retraçant l’histoire de l’humanité et dénonçant l’inégalité croissante entre les pays riches et les pays pauvres. On peut également visionner un extrait de La Table Tournante, le court-métrage Le fou du Roi. On retrouve le trait de Paul Grimault, le personnage du roi évoquant irrésistiblement celui du Roi et l’oiseau.
Nous abordons ensuite la découverte de La Bergère et le ramoneur par Isao Takahata et Hayao Miyazaki. Le film a été diffusé au Japon dans les années 50, ce dont témoignent les nombreuses affiches japonaises de l’époque présentées. L’impact de l’œuvre sur les deux réalisateurs est clairement visible à travers la découverte de scripts de l’époque, de dessins et de notes, notamment d’Isao Takahata. En effet, le réalisateur, aux côtés de Yasuo Ôtsuka, s’est pris véritablement de passion pour l’œuvre, alors qu’il était étudiant au point qu’ils feront des story-boards complets du film, des traductions des textes, des annotations, des esquisses,… C’est ce film qui servira de déclencheur pour Takahata, qui comprendra dès lors que l’animation permet de représenter le réel tout en permettant une liberté de mise en scène inédite. Grâce à l’influence du réalisateur japonais, le film sera distribué au Japon en 2006 sous le label Ghibli.
La visite se poursuit à travers le visionnage d’extraits des œuvres de Miyazaki et de Takahata, de Horus au Château ambulant, ainsi que des reproductions d’esquisses et d’images, mais aussi de splendides dessins d’origine encore jamais vus en France, du Château de agliostro au Voyage de Chihiro en passant par Nausicaa de la vallée du Vent.
Il est intéressant de noter chez Miyazaki deux points communs fondamentaux avec Grimault. Tout d’abord, on constate des clins d’œil flagrants concernant la mise en scène. Par exemple, Le château de Cagliostro évoque irrésistiblement les scènes verticales de Grimault. De même la poésie visuelle des scènes d’envol, sans être un hommage, dénote tout de même un regard relativement similaire quant à l’imagerie poétique. Quant au message engagé, il est évident que le discours sur l’environnement de Miyazaki n’est pas sans évoquer le court-métrage La Faim dans le monde.
Mais le parallèle le plus significatif est sans conteste celui qui unit la vision du cinéma d’animation de Paul Grimault à celle d’Isao Takahata. Ce dernier a eu une véritable révélation quand il a découvert le travail de Paul Grimault. Le cinéma d’animation devient alors à ses yeux le moyen idéal pour signifier le réel tout en permettant une mise en scène que le cinéma en prise de vues réelles ne peut alors proposer. De plus, on retrouve dans les deux œuvres une certaine distance prise entre les personnages et le spectateur. Le but n’est pas forcément d’émouvoir ce dernier mais de le faire réfléchir. Selon les commissaires de l’exposition, on retrouve en fait la dimension brechtienne de l’œuvre, à savoir une nécessaire prise de distance entre l’histoire et le spectateur/lecteur. Les nombreuses mises en abîmes visibles dans les films de Isao Takahata seraient ainsi, par exemple, un moyen de rappeler au spectateur qu’il n’est pas dans mais en dehors du film.
Loin d’être une présentation anecdotique et chronologique des œuvres des trois réalisateurs, cette exposition permet de donc de réfléchir vraiment à la portée des films d’animation, leur manière de transcender le réel, tout en portant un message revendicatif et engagé bien ancré dans notre réalité. En résumé, il s'agit d'une très belle exposition, instructive et passionnante, dont on peut juste regretter l'absence de catalogue.
Interview de Xavier Kawa-Topor
Buta-Connection : Le rapport entre l’œuvre de Grimault d’une part et les celles de Miyazaki et Takahata d’autre part est connu de nombreux fans. Cependant, il est encore rare que des expositions sur l’animation soient organisées. Comment l’idée vous est venue, à M. Pagliano, M. Nguyen et vous-même, d’organiser cette exposition ?
Xavier Kawa-Topor : Cette exposition est née d'une convergence d'idées. D'une part, il m'a toujours semblé qu'exposer le cinéma d'animation était un moyen privilégié de contribuer à sa reconnaissance en tant qu'art en rendant ses fondements esthétiques et techniques intelligibles. D'autre part, le travail que nous avons mené Ilan Nguyen et moi-même au Forum des Images, au cours des trois festivals Nouvelles Images du Japon, notamment autour de TAKAHATA Isao et MIYAZAKI Hayao, demandait à être poursuivi, complété, mis en perspective. Un des sujets cruciaux était évidemment cette filiation entre Paul Grimault et les auteurs du studio Ghibli. Pour en avoir discuté à plusieurs reprises avec Jean-Pierre Pagliano, spécialiste incontournable de Paul Grimault, il nous a semblé qu'une exposition pourrait être le moyen idéal de mettre en lumière cette "filiation": comment elle s'est opérée et ce qu'elle met en jeu, à savoir une certaine idée - et la plus haute idée ! - du dessin animé en tant qu'art. Une conception du dessin animé dans laquelle la question du réalisme et du merveilleux est abordée de façon radicalement différente de la production disneyenne. Parallèlement, j'ai pris en 2005 la direction de l'Abbaye de Fontevraud, centre culturel de rencontre, dans laquelle nous avons mis en place un cycle de grandes expositions sur le merveilleux dans la société contemporaine, initié en 2007 avec l'exposition du grand historien Jacques Le Goff intitulée Héros et Merveilles du Moyen Age. Il m'a semblé que notre projet autour de Grimault, Takahata et Miyazaki, s'inscrivait parfaitement dans ce thème.
BC : L’exposition ne se contente pas d’une juxtaposition superficielle des œuvres, comme ce fut un peu le cas dans l’exposition Miyazaki-Moebius à la Monnaie de Paris, mais propose au contraire de démontrer une vision commune de l’animation dans son rapport au réel et dans l’engagement politique. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui rassemblent et différencient ces trois réalisateurs ?
XKT : L'exposition s'attache à montrer que les trois réalisateurs ont avant tout chacun leur propre personnalité artistique et leur propre vision du monde. Ils ont produits trois univers très personnels et incomparables. Néanmoins, ce qui les rapproche peut-être, c'est notamment une certaine conscience politique du monde : l'exposition fait ainsi référence aux affinités de Paul Grimault avec le Groupe Octobre, son amitié avec Jacques Prévert, elle évoque également le passé syndical de Takahata et Miyazaki à leurs débuts comme autant de points de départ à leurs engagements respectifs contre le totalitarisme, la guerre ou pour la protection de la nature bien sûr. Mais au-delà, on peut considérer que ces trois auteurs sont proches dans l'intention qui est la leur : leurs films ne proposent pas une fuite de la réalité vers un univers "merveilleux" auquel ils inciteraient à croire. Au contraire, le dessin animé est avec eux un éveil au monde : "le monde est une merveille" selon les mots de Jacques Prévert et l'homme en est responsable. Il s'agit d'un regard engagé et engageant. La beauté du monde s'exprime cependant selon des modalités totalement différentes chez les trois réalisateurs. Peut-être Takahata s'attache-t-il davantage à la valeur du "vivre ensemble" là où Miyazaki sonde prioritairement les rêves d'enfance...
BC : L’exposition semble avoir été pensée pour l’abbaye de Fontevraud. Comment avez-vous conçu la scénographie ?
XKT : L'exposition a été mise en scène par François Payet, scénographe, spécialement pour l'abbaye de Fontevraud. Celui-ci a cherché une correspondance entre les espaces de l'abbaye et le propos de l'exposition. Il a ainsi exploré deux dimensions : la verticalité en prolongeant le grand escalier renaissance par un échafaudage qui conduit les visiteurs dans le domaine "aérien" de la charpente du grand dortoir : un espace inédit et assez magique. Ensuite, la scénographie s'étend en profondeur sur près de 1000 m2, dans une succession d'arches qui mènent le visiteur depuis l'atelier de Paul Grimault jusqu'au studio Ghibli, en passant par les coulisses d'un château où l'on découvre les croquis et études réalisés par Takahata, Otsuka et leurs compagnons de Tôei animation, à partir de la projection de La bergère et le ramoneur, première version du long métrage de Grimault sortie au Japon dans les années 1950.
BC : L’exposition sera visible en 2009 sur le terrain Héloïse à Argenteuil. L’exposition restera-t-elle identique dans sa présentation ? Est-il prévu d’autres villes par la suite ?
XKT : L'exposition sera présentée à partir du 12 février à Argenteuil selon une scénographie fidèle à celle de Fontevraud avec quelques aménagements indispensables et surtout des images supplémentaires inédites du dernier film de Miyazaki Hayao : Ponyo sur la falaise. A partir de juin, l'exposition pourrait être présentée à la demande d'autres villes françaises et ce jusqu'à la fin 2009.
BC : L’exposition a-t-elle rencontré le succès escompté ?
XKT : Environ 70 000 personnes ont visité cette exposition, ce qui est un franc succès !
BC : L’abbaye de Fontevraud est un lieu historique très fort où reposent Richard Cœur de Lion et Aliénor d’Aquitaine. Depuis votre arrivée à l’abbaye, le lieu semble également se tourner clairement vers des expositions et des évènements culturels autour de l’animation. Quels sont vos futurs projets concernant l’abbaye ?
XKT : L'Abbaye a mis en place un programme d'accueil d'artistes en résidence :elle a notamment accueilli de grands artistes comme Michel Ocelot, Florence Miailhe, Gianluigi Toccafondo. Elle organise également des Grands ateliers d'art graphique, comme celui animé par Takahata en 2007, collabore régulièrement avec le festival de La Rochelle et le Festival Premiers Plans à Angers auquel elle s'associe cette année pour la venue de Jean-François Laguionie (L'Île de Black Mor) et de Christian Volckman (Renaissance). Par ailleurs, elle organise des débats comme celui auquel Marc du Pontavice (Oggy et les cafards) a participé en décembre 2009. De nouvelles expositions sont également en projet pour la fin 2009