Le garçon et le héron : Production
Origines
Après avoir très médiatiquement annoncé sa retraite de la réalisation de longs métrages en septembre 2013, les moindres nouveaux projets de Hayao Miyazaki sont scrutés partout dans le monde.
Dès la fin de cette même année, il se lance tout d’abord dans la création d’un nouveau manga intitulé Teppô Samurai (le samurai au fusil), qu’il abandonnera finalement quelques temps plus tard sans jamais le reprendre.
L’abandon de la réalisation de longs métrages lui permet aussi de s’impliquer davantage dans la création des expositions temporaires du musée Ghibli, pour lesquelles il multipliera dessins préparatoires et planches de mangas.
En 2015, Miyazaki se lance surtout dans la réalisation d'un court métrage pour le musée Ghibli, intitulé Boro la chenille. Le projet sera entièrement généré par ordinateur. Gorô Miyazaki expliquera que son père aura mûri un intérêt pour le numérique en voyant les premières images de sa série hybride 2D/3D Ronya, fille de brigand.
L'annonce d'un simple court métrage pour le musée du studio Ghibli est le prétexte pour suivre et filmer à nouveau le retraité au quotidien dans ce qui deviendra le documentaire Owaranai Hito Miyazaki Hayao (Never-Ending Man: Hayao Miyazaki à l’international).
Dans celui-ci, Miyazaki surprend à nouveau tout le monde en annonçant une fois encore vouloir réaliser un nouveau long métrage en animation traditionnelle. Le documentaire est diffusée en novembre 2016 sur la chaîne NHK mais la scène en question aurait été filmée en août.
Certains journalistes pensent alors que le nouveau projet serait une version longue de Boro la chenille. Mais on apprendra plus tard (le court ne sera finalement projeté au musée Ghibli qu’en mars 2018, après plusieurs reports) que l'expérience avec l’animation 3D aura été désastreuse pour le réalisateur.
Afin peut-être de ne pas rester sur cette mauvaise expérience, mais certainement et surtout par ennui, Miyazaki annonce sortir de sa retraite. À nouveau.
En décembre 2019, dans le premier entretien accordé par le réalisateur depuis l’annonce de sa retraite, il tente maladroitement, comme à son habitude, de se justifier.
« À chaque fois, j'ai vraiment envie de prendre ma retraite. Mais fatalement, j'ai envie de reprendre. C'est comme ça. À chaque fois que j'annonce ma retraite, je le fais car je sens que j’ai atteints mes limites physiques. Je me retrouve à avoir beaucoup de temps libre. Je me promène et mon corps se rétablit, et je commence à me dire : « tiens, il y a un genre de film auquel je n’ai jamais touché ! » Je commence alors à réfléchir et je me dis que « peut-être je peux continuer à travailler... » C’est un cercle vicieux... Et je me suis dit encore une fois que je pourrais en faire un autre. De nos jours, nous sommes dans une période un peu compliquée à vivre je pense. Je ne crée pas de films en fonction de celle-ci mais je vis à cette période, ce qui signifie qu’il y a quelque chose qui me pousse encore à créer un film à notre époque. Mais tout simplement, je crois qu’il y a un genre de film auquel je ne me suis pas encore confronté. »
Cependant, le producteur Toshio Suzuki n’entend pas laisser faire Miyazaki aussi facilement et ne donnera son feu vert au projet qu’à la condition qu’il en vaille la peine. L’observateur, l’accompagnateur et le conseiller privilégié sur la majeure partie de la filmographie du réalisateur ne souhaite pas le voir finir sa carrière sur un dernier projet en demi-teinte.
Le producteur laisse un temps planer le doute et annonce finalement que le film est entré en production. À cette occasion, Suzuki sort lui aussi de sa retraite pour le produire.
Et pour cela, le studio Ghibli se restructure et rouvre son département de production en août 2017. Il doit engager massivement de nouveaux effectifs, une grande partie des anciens collaborateurs du studio ayant été emmenée par le producteur Yoshiaki Nishimura lors de la fondation du nouveau studio Ponoc.
Directeur de l'animation sur Boro la chenille, Takeshi Honda est nommé au même poste sur Le garçon et le héron.
Le 28 octobre 2017, Miyazaki révèle le titre de son film : Kimi-tachi wa Dô Ikiru ka (Vous tous, comment vivrez-vous ?). Il s’agit là d’un emprunt au titre du roman du même nom datant de 1937 du journaliste, traducteur, éditeur et auteur de littérature pour enfants Genzaburô Yoshino (1899-1981).
Dans le Japon des années 30 et à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, le texte suit l'éducation et le développement intellectuel de Junichi Honda, un collégien de 15 ans vivant à Tôkyô, placé sous la tutelle de son oncle après la mort de son père.
Destiné à un jeune public et aux adolescents, le texte est un roman d’apprentissage humaniste, philosophique et didactique. Il a été traduit et publié en France en 2021 par les Éditions Philippe Picquier sous le titre Et vous, comment vivrez-vous ?.
Le livre des choses perdues
Le roman Le livre des choses perdues (The Book of Lost Things, 2006) de l'écrivain irlandais John Connolly semble également avoir exercé une certaine influence sur le long métrage de Hayao Miyazaki.
Dans ce texte très sombre, alors que l'Europe plonge dans la Seconde Guerre mondiale, David, un garçon de 12 ans, vient de perdre sa mère. Avant même d'avoir le temps de faire son deuil, son père se remarie avec Rose, obligeant David à quitter Londres devenue trop dangereuse pour la campagne. Le manoir de sa nouvelle belle-mère devient son nouveau foyer et rapidement, l'arrivée d'un demi-frère, Georgie, monopolise l'attention des adultes.
David se réfugie dans la lecture des livres de contes dans laquelle il puise son réconfort. Mais un jour, quelque part au fond du jardin, il entend la voix de sa mère décédée qui l'appelle. Et voilà le jeune garçon aspiré dans un monde parallèle, magique et violent, peuplé par des personnages terrifiants issus de ses lectures. David devra défier l'Homme Biscornu, le marionnettiste de l'ombre de cet univers, s'il souhaite retrouver un jour son foyer et se réconcilier avec Rose et Georgie.
À travers ce bref résumé, le parallèle entre Le garçon et le héron et Le livre des choses perdues apparaît évident. Pourtant, bien que Miyazaki transpose habilement l'exposition initiale du texte de Connolly au Japon, la comparaison s'arrête là. À sa manière habituelle, le réalisateur japonais s'approprie des éléments du texte sans chercher à les adapter totalement. Ainsi, L'Homme Biscornu du texte n'est pas l'Homme Héron du film. Car si le premier est l'antagoniste du livre, le héron assume plutôt un rôle de guide. Les personnages du Garde Forestier et de Roland remplissent cette fonction dans Le livre des choses perdues.
Le 28 novembre 2017, le studio Ghibli se restructure ensuite à sa tête : Kiyofumi Nakajima, directeur du musée Ghibli, est nommé à la direction du studio Ghibli. Il succède à Kôji Hoshino qui devient président de la société. Le producteur Suzuki déclare lui dans une lettre que le studio Ghibli continuera à faire des films « jusqu'à ce que ce ne soit plus possible de le faire. », entérinant le retour du plus célèbre studio d’animation japonais sur le devant de la scène.
C’est dans cette lettre qu’il révèle également que Gorô Miyazaki travaille sur un nouveau projet en images de synthèse. Ce projet sera le téléfilm Aya et la sorcière, adapté comme Le château ambulant de Diana Wynne Jones.
Lors sa promotion, on apprendra que c’est Hayao Miyazaki qui a découvert la dernière publication de l’auteure britannique au préalable. Il était tombé sous le charme de cette fillette qui se joue des adultes. Il caressera l'idée d’en tirer un film le premier en approchant Suzuki. Mais le producteur préférera alors recadrer le réalisateur.
« À ce moment-là, Miya-san songeait déjà à Kimi-tachi wa Dô Ikiru et se demandait lequel des deux projets choisir » raconte Suzuki. « Quand il m’a demandé mon avis, j'ai dit : « On va faire Kimi-tachi. Mais Aya, c’est intéressant aussi, c’est un projet qui convient à notre époque. » Et on a donc décidé de laisser Gorô-kun le faire. »
L’avancée de la production
Kimi-tachi wa Dô Ikiru ka est un temps programmé pour sortir en salles un peu avant les Jeux olympiques de Tôkyô 2020. Sans que la pandémie mondiale de COVID-19 soit en cause, la date reste incertaine, et on parle ensuite d’une sortie, au mieux en 2021, plus plausiblement en 2022.
La raison serait que le projet avance lentement. Très lentement. En octobre 2019, Toshio Suzuki révèle que la production à proprement parler du film, entamée alors il y a 18 mois, ne serait achevée qu’à hauteur de 17 minutes. Le projet avancerait donc d’une minute par mois.
En décembre 2020, Suzuki s’exprime plus longuement sur l'avancement de la production. Jusqu'à présent, sur les œuvres de Hayao Miyazaki, les sakuga prenaient environ deux ans à dessiner. Mais sur Kimi-tachi wa Dô Ikiru ka, plus de 3 ans ont déjà passé. Le travail sur les dessins est à moitié terminé et la durée totale du film évaluée à environ 125 minutes, génériques compris. Le rythme de production s’est accéléré. Cependant, il faudra encore trois ans pour produire l'autre moitié estime à ce moment le producteur.
En considérant la possibilité qu'il s'agisse de la toute dernière œuvre du réalisateur, il ajoute avoir pris la décision inhabituelle de ne finalement pas décider de date de sortie.
« Je souhaite que Miya-san reste sur le film jusqu'à ce qu'il soit satisfait, sans être lié par des contraintes de temps. »
Dessin signé Hayao Miyazaki pour la pochette de l’album Mitaka Calling du pianiste jazz italien Giovanni Mirabassi, inspiré par les films du studio Ghibli et sorti le 18 décembre 2019.
Pour certains fans japonais, il pourrait s'agir là du premier image-board du film rendu public.
Deux ans et demi passent à nouveau sans avoir de nouvelles de Kimi-tachi wa Dô Ikiru ka. Le 7 mai 2022, en conférence avant son concert à la Philharmonie de Paris, Joe Hisaishi explique ne toujours pas avoir commencé à travailler sur la musique du film. Il ne va découvrir les premières images qu’en juillet. Après 11 collaborations ensemble et une routine de travail bien installée, le réalisateur semble dans un nouvel état d’esprit pour ce projet. Ce qui l’angoisse un peu le compositeur.
Message de Hayao Miyazaki à l'attention de Joe Hisaishi, Palais des congrès, le 9 juin 2017.
Enfin, fin octobre 2022, lors de l'inauguration de Ghibli Park, le Président Kôji Hoshino laisse entendre que le nouveau long métrage de Miyazaki s'orientait enfin vers la fin de sa production. Mi-novembre, l’annonce est corroborée par des propos du producteur Naoya Fujimaki, qui annonce que film allait entrer dans sa phase de doublage et pourrait sortir à l'été 2023 au Japon.
Joe Hisaishi et Hayao Miyazaki, décembre 2022.
Quelques jours plus tard, le 13 décembre 2022, le studio Ghibli dévoile une énigmatique affiche teaser de Kimi-tachi wa Dô Ikiru ka. Et surtout, une date de sortie japonaise. Celle-ci est fixée au 14 juillet 2023, soit quasiment 10 ans jour pour jour après l'ultime film (le pensait-on) du réalisateur, Le vent se lève. Avec cette date, le studio Ghibli reviendra en salles au Japon pendant sa période fétiche de l'été.