Le château ambulant : Art et technique
Le graphisme
Les décors
Bien qu'il s'agisse de l'adaptation d'un roman britannique destiné aux enfants, il semblerait que son cadre et son design soient plutôt français. On sait qu'une partie des décors du Château Ambulant sont inspirés de la région alsacienne. En septembre 2002, pour donner vie à sa vision, l'équipe principale du studio part en Europe, plus précisément en France, à Colmar (Alsace), 5 mois avant le début de la production du film.
Colmar (Alsace) / Décor du film
À l'époque des séries TV Heidi et Marco / 3 000 lieues en quête de mère, Isao Takahata et Hayao Miyazaki étaient déjà venus en Europe pour des repérages et avait été fortement marqués par ce voyage. Mais c'est lors de sa venue en France, pour la sortie du Voyage de Chihiro en 2001, que sous les conseils du distributeur français du film, Miyazaki a découvert l'Alsace et qu'il a été frappé par son architecture. Durant ce second voyage studieux, l'équipe a notamment visité le château du Haut-Kœnigsbourg et a observé le travail d'artisans locaux comme des chapeliers et des forgerons. Diana Wynne Jones a approuvé le choix d'un tel parti-pris esthétique : « Je ne suis jamais allée en Alsace, mais j'ai entendu dire qu'on y trouve des paysages tout droit sortis d'un conte de fée. »
Pour amplifier cette ambiance française, les design du film s'inspireront du travail de l'illustrateur et romancier français Albert Robida (1848-1926). Ce rival de Jules Verne projeta ses visions d'avenir à travers des romans comme Le vingtième siècle où se mêlent romantisme loufoque et rigueur technique qui figurent également dans les films de Miyazaki.
Machine volante imaginée par Robida / Les gardes de Kingsbury
La ville de Porthaven n'est pas sans rappeler l'univers de Kiki, la petite sorcière, ce port baigné de lumière, tandis que les montagnes nous remémorent irrésistiblement celles d'Heidi et du Château de Cagliostro. Quant au palais royal, il évoque un subtil mélange entre l'architecture viennoise et le faste de Versailles.
Palais de la Hofburg (Vienne) / Palais de Kingsbury
L'animation traditionnelle
L'animation est toujours du plus haut niveau. Le travail sur les différents âges de Sophie en fonction de son état d'esprit a dû constituer un challenge pour les animateurs. Ceux-ci ont utilisés deux manières différentes de représenter ces changements morphologiques. La transformation peut être progressive : les rides s'estompent, les traits s'affinent et se lissent. Le plus souvent, la métamorphose se fait hors champ de la caméra. Le temps d'un changement de plan (champ/contre-champ par exemple), la vieille dame devient jeune fille ce qui provoque la surprise et suscite l'attention du spectateur quant aux sentiments de Sophie. On remarque également une recherche de réalisme dans les traits qui n'est pas sans rappeler le travail de Yoshifumi Kondô dans les œuvres de Takahata comme Souvenirs goutte à goutte.
Quand on découvre le personnage de Hauru, on est surpris par son character design, une caricature de dandy tout droit sorti d'un shojô manga et loin de la sobriété à laquelle ont était habitué dans les films de Hayao Miyazaki. Lorsqu'il perd sa « beauté », le graphisme se simplifie, s'épure. Son costume devient sobre. Cela correspond à l'évolution psychologique du personnage. D'un égocentrisme et d'une superficialité agaçants, le sorcier se transforme peu à peu en jeune homme avenant et altruiste. On remarque donc une véritable réflexion quant au character design. Le jeu des apparences, véritable thématique de l'œuvre, prend ici tout son sens.
Le château ambulant
À peine décrit dans le roman, l'énorme château du sorcier Hauru, tout entier constitué de ferraille, de passerelles, d'une gueule béante crachant de la vapeur, n'est pas sans rappeler les créations de Jean Tinguely, un artiste sculpteur suisse du XXᵉ siècle. Ce dernier s'était fait une spécialité de sculptures réalisées à partir de métaux, des rebuts d'usine, et que l'adjonction d'un moteur permettait de mettre en branle. Ces assemblages produisaient par la suite de la musique, de la peinture ou de l'eau. L'artiste a, plus tard, ajouté des mâchoires ou des crânes d'animaux, des morceaux de tôle froissée provenant de voitures accidentées, de sorte que ses sculptures ressemblaient presque à des totems, angoissants et menaçants.
À l'instar de Tinguely, Hayao Miyazaki recherche lui aussi à animer son château. Si au repos, celui-ci doit avoir l'air drôle et sympathique, il doit, en mouvement, faire peur. Ce challenge technique sera relevé par l'équipe des graphistes. L'animation du château, mélange de 2D et 3D, est particulièrement convaincante. Pour la première fois le numérique est utilisé pour un « personnage » animé et non plus seulement pour des paysages ou décors.
Le cyclope de Tinguely
À ce sujet, l'équipe s'est souvenue du travail d'animation de l'Ômu sur Nausicaä de la Vallée du Vent. Selon eux, il était intéressant de réutiliser le principe d'animation de la créature par ordinateur et l'appliquer au château, beaucoup plus complexe. La technique actuelle va permettre un véritable bon en avant concernant l'animation : le seul mouvement possible à l'époque de Nausicaä était la translation ; avec l'ordinateur, on peut facilement ajouter des mouvements avant en arrière, ainsi que des déformations réalistes.
Pour concevoir le château, les graphistes dessinent d'abord une ébauche, puis un dessin précis et définitif qu'ils colorisent. Après avoir scanné le dessin, les graphistes vont le découper en plusieurs petits morceaux, comme une mosaïque, à l'aide du logiciel de retouche d'images Adobe Photoshop. Le dessin sera donc divisé en une multitude de petits fragments : plus les morceaux seront petits, plus le rendu de la texture mise en mouvement sera précis. On va ensuite élargir les contours de chaque partie : ainsi, on aura une marge pour superposer tous les petits morceaux, nécessaire pour masquer la jonction entre ces fragments.
Enfin, avec le logiciel Softimage, les parties sont assemblées sur un polygone de base, en faisant bien attention à leur ordre de superposition. Une fois les éléments mis en place, il faut animer l'ensemble. Afin de rendre le mouvement du château le plus réaliste possible, les graphistes se sont inspirés d'un sac de randonneur plein avec ses ustensiles accrochés. Comme le sac qui entraine les ustensiles dans son mouvement, le polygone de base du château doit faire bouger en léger décalage les éléments superposés. Le château ambulant, au final, est asymétrique, là où les occidentaux dessinent des bâtiments symétriques.
Dans la création de tous les détails de l'apparence du château ambulant, Miyazaki a passé beaucoup de temps pour créer les pattes. Lui et ses collaborateurs ont fait beaucoup d'essais (dont un avec des jambes humaines) mais finalement, ce sont des pattes d'oiseau qui ont été retenues. Un autre problème s'est posé : la quantité nécessaire de pattes. Dans les premiers dessins préparatoires, Miyazaki l'avait dessiné avec six pattes. Puis il a demandé au producteur Toshio Suzuki ce qu'il en pensait. Il lui a répondu que quatre suffisaient, car plus pratique à dessiner (et moins cher !).
La bande son
Le casting du film
Pour Sophie, Hayao Miyazaki voulait une actrice qui soit capable de jouer le personnage jeune mais aussi le personnage vieux. C'était là son seul souhait. Lui et Suzuki ont commencé à faire des essais avec de jeunes actrices. Pour le personnage à l'âge de 18 ans cela fonctionnait toujours mais dès qu'elles interprétaient le personnage à l'âge de 90 ans, cela ne correspondait pas. Ils ont donc abandonné cette piste. C'est alors qu'ils regardaient un film de la saga Tora-san, que Miyazaki et Toshio Suzuki sont tombés d'accord sur la voie de Chieko Baishô, qui joue le rôle de la sœur du personnage principal dans la série. Ils lui on fait faire un essai concluant et l'on engagé tout aussi simplement.
Takuya Kimura, idole des jeunes japonaises, a été chargé du doublage de Hauru. Beaucoup de critiques ont jugé sa prestation en deçà de la qualité attendue pour un Ghibli. L'agence Johnny & Associates qui produit le jeune chanteur à un pouvoir de pression immense sur tout le paysage audiovisuel japonais et il n'est pas exclu qu'il ait été imposé à Miyazaki. Cependant, il ne serait pas étonnant que Miyazaki s'en soit accommodé, car la personnalité frivole et superficielle de Hauru correspond parfaitement à l'image que l'on se fait du chanteur de J-pop.
Pour le rôle de la sorcière des Landes, l'acteur-chanteur-travesti Akihiro Miwa était retenu dès le début de la création du personnage. Miyazaki connaît sa voix et son jeu. Il jouait déjà le rôle de Moro la louve dans Princesse Mononoke.
Le reste du casting est également composé de valeurs sûres, ayant déjà collaboré à d'autres films de Miyazaki. Ainsi Ryûnosuke Kamiki (Marko) et Tatsuya Gashûin (Calcifer) ont respectivement joué le bébé Bô et la grenouille verte dans Le voyage de Chihiro. Haruko Katô (Suliman), à quant à elle, déjà joué le rôle de Madame, la vieille dame, dans Kiki, la petite sorcière.
Les effets sonores
En octobre 2003, après le commencement de l'animation au Japon, l'équipe son du studio Ghibli est à son tour allée en Europe pour enregistrer des sons d'ambiance. Le film prenant place dans un XIXᵉ siècle imaginaire, Miyazaki tenait à des sons authentiques et purs. La difficulté pour l'équipe fut d'enregistrer des sons vierges, dénués de parasitages électriques. Ils ont notamment enregistré des bruits de pas, puis de calèches tirées par des chevaux sur des routes pavés traditionnelles ainsi que des bruits d'ambiance de cafés et de rues françaises.
La musique
Toujours aux commandes de la musique, Joe Hisaishi a écrit des compositions rendant parfaitement l'atmosphère onirique présente dans le livre. L'expérience à été très riche pour lui, puisque ses inspirations musicales se sont fait par le biais de Hayao Miyazaki, mais également par celui du livre de Diana Wynne Jones. Pour Le château Ambulant, Miyazaki lui a demandé comme particularité de créer un thème et ses variations pour Sophie. Le personnage change au cours du film, il passe de 18 ans à 90 ans mais le film a besoin d'une chanson pour le personnage qui, elle, ne change pas. Pour lui, toute la difficulté du travail venait de ces variations du thème. Parfois comique, parfois romantique, la musique est déclinée tout au long du film, ce qui signifie un travail très technique pour arriver au résultat voulu.
À la fin de son travail sur le thème et ses variations, au moment de présenter son travail à l'équipe du studio Ghibli, habituellement il amène le résultat sur un support digital. Mais cette fois-ci, par souci d'authenticité, il a préféré jouer le morceau au piano devant l'équipe car il voulait montrer l'humanité de sa musique. Mais trop concentré, il a eu le trac et s'est trompé plusieurs fois... Malgré tout Miyazaki et Suzuki furent impressionnés et gardèrent la chanson que l'on entend maintenant dans le film.
La partition de Joe Hisaishi emprunte beaucoup de sonorités à sa bande originale précédente, Le voyage de Chihiro. Très symphonique, elle peut aussi évoquer le travail de John Williams. Les arrangements sont de toute beauté et les éblouissantes envolées orchestrales emportent le spectateur dans un tourbillon musical comme dans celui des images. Certains passages, sur un air d'accordéon, sont peut-être parfois le reflet des stéréotypes qu'ont les japonais pour la musique française.
On a cependant moins de variété dans la composition par rapport à d'autres œuvres comme Chihiro : le thème principal, une valse, est décliné tout au long du film. Malgré sa puissance lyrique, la bande originale semble plus en retrait qu'à l'accoutumée, peut-être parce qu'aucun thème inoubliable ne se dégage de l'ensemble.