Le château ambulant : Production
Le château ambulant entre en production début février 2003. Elle s'achèvera presque un an et demi plus tard, le 30 juillet 2004. Pourtant la genèse du film a été plus chaotique que ces dates ne le laissent penser.
Dès septembre 2001, peu de temps après le raz-de-marée Chihiro, le studio Ghibli annonce qu'il travaille sur deux nouveaux projets de film. Le premier doit être un moyen métrage réalisé par Hiroyuki Morita et le second un long métrage réalisé par Mamoru Hosoda (La traversée du temps, Les enfants loups, Ame et Yuki), montrant que la place est à la relève. Le moyen métrage devient finalement le long métrage Le Royaume des chats et sort, comme prévu, pendant l'été 2002. Le film de Hosoda, en revanche, prend du retard. En juin 2002, alors que l'E-konte est déjà bien avancé, le jeune réalisateur jette finalement l'éponge pour avoir échoué dans l'élaboration d'un concept satisfaisant au yeux des pontes du studio. Le projet reste un temps abandonné et le poste de réalisateur vacant... avant que Hayao Miyazaki, comme pour la production de Kiki, la petite sorcière, décide de tout reprendre.
E-konte de Mamoru Hosoda
(Cliquez pour agrandir les images)
Entre temps, voyant sans doute de nombreux collaborateurs démoralisés par les mois de travail inutiles (Miyazaki repartant de zéro !), le studio Ghibli ferme pendant six mois, permettant à tous de se reposer ou de s'investir dans d'autres projets... Ce n'est donc qu'en février 2003 que la production du Château ambulant reprend.
Croquis préparatoire de Hayao Miyazaki
À partir de là, on revient au scénario classique de production d'un long métrage signé Hayao Miyazaki : les producteurs s'inquiètent de la longueur du film et surtout du retard pris par le réalisateur pour fournir les storyboards aux animateurs. En décembre 2003, on estimait que les animateurs avaient globalement réalisé plus de la moitié de leur travail ; mais personne ne savait réellement ce qu'il restait à faire car les storyboards n'étaient toujours pas achevés et arrivaient au fur et à mesure.
Ce n'est que le 16 janvier que toute l'équipe apprend avec soulagement que le storyboard est enfin terminé. Il y a aura un total de 1 400 plans. Les animateurs clés passent le cap symbolique des 1 000 plans le 13 février et l'animation clé sera au final achevée le 21 mai. Les autres jalons importants de la production sont les suivants :
- La vérification de l'animation clef le 8 juin
- L'enregistrement des voix le 17 juin
- Le travail des intervallistes le 25 juin
- L'enregistrement des effets sonores le 28 juin
- L'enregistrement de la musique le 30 juin
- La dernière projection d'essai validant l'animation complète le 4 juillet
- Le montage et le mixage le 26 juillet
- La fin de la production marquée par une projection interne le 30 juillet
La sortie du film dans les salles de cinéma japonaises Tôhô, initialement prévue pour juillet 2004, est reportée au 20 novembre 2004. Présenté le 5 septembre à la Mostra de Venise, Le château ambulant est chaleureusement accueilli par les festivaliers. Le jury décerne même au studio Ghibli l'Osella, récompensant une contribution technique exceptionnelle.
Contrairement au Voyage de Chihiro où Hayao Miyazaki et Toshio Suzuki ont accordé beaucoup d'interviews, la promotion du Château ambulant s'est limitée à une exposition et quelques bandes-annonces. Le producteur explique : « Nous sommes convenus de ne pas parler en détail de l'histoire, du contenu ou du thème. En fait, Hayao Miyazaki a souhaité très ardemment que le film soit découvert sans connaissance préliminaire, donc sans préjugé, tout simplement. Nous avons beaucoup réfléchi ensemble après la sortie du Voyage de Chihiro et conclu que nous en avions trop fait, qu'il y avait eu trop de publicité. » Le réalisateur a également décidé de ne faire aucune promotion en dehors du Japon. Seule entorse à cette règle, sa visite en France, début décembre, à l'occasion de l’exposition Miyazaki-Mœbius et de l'avant-première parisienne du Château ambulant.
Malgré cette relative absence de promotion, au premier jour de sa sortie au Japon, le nouvel opus de Miyazaki semble connaitre une affluence encore plus forte que celle du Voyage de Chihiro il y a trois ans. À Tôkyô, 1 300 personnes (dont un centaine depuis la veille) ont fait la queue pour la première séance au Teatro alla Scala de Hibiya de Tôhô. Le château ambulant est distribué au Japon dans un nombre record de 448 salles sur les 2 700 que compte le pays. Le précédent record était détenu par Princesse Mononoke avec 348 copies tandis que Chihiro n'avait bénéficié « que » de 336 copies.
Le premier week-end d'exploitation a totalisé un box-office record de 1,1 million de spectateurs et 1,4 milliard de yens (plus de 10 M€). Au vu de ce démarrage, Tôhô a (trop) vite annoncé que le film « mobilisera » quelques 40 millions de spectateurs -Chihiro en avait totalisé 23 millions- et atteindra 50 milliards de yens (360 M€) de recettes ! Après deux semaines et quatre semaines, le film bat de nouveau un record avec respectivement plus de 5 millions et plus de 9 millions de spectateurs. Mais le rythme s'essouffle un peu par la suite, peut-être du fait d'un retour du public et de la critique japonaise -jugée trop conservatrice par le studio Ghibli!- un peu plus partagée qu'à l'habitude. Beaucoup trouvent que le film manque de force, que l'histoire est incompréhensible ou encore critiquent le choix des doubleurs. Au final, le film atteindra plus de 14 millions de spectateurs, ce qui représentera le troisième plus gros box-office au Japon derrière Titanic et devant Princesse Mononoke.
Pour ce qui est de la distribution internationale, le film a été exploité par Disney dans une cinquantaine de pays, en commençant par la Corée le 24 décembre, Singapour le 30 décembre, et bien sûr la France le 12 janvier 2005. Dans l'hexagone, la promotion est conséquente mais handicapée par l'absence d'interview de Miyazaki. Comme au Japon, le film ne fait pas mieux que Le voyage de Chihiro mais, avec plus de 1,3 millions de spectateurs, remporte un très joli succès.
Pourquoi Mamoru Hosoda n'a pas réalisé Le château ambulant ?
En août 2015, dans l'émission Professional - Shigoto no Ryûgi de la chaîne NHK consacrée à la production de son film Bakemono no Ko (Le garçon et la bête), Mamoru Hosoda est revenu sur son parcours dans le milieu de l’animation et les circonstances de son éviction de la réalisation du Château ambulant pour le studio Ghibli.
Voici une traduction de cette partie de l’émission.
Mamoru Hosoda est élevé par sa mère. Enfant, il a beaucoup de difficulté a s’exprimer par lui-même, complexé par un bégaiement (il l’est encore un peu), et se retrouve, à cause de cela, en classe spéciale. Un jour, sa mère l’emmène voir Le château de Cagliostro de Hayao Miyazaki. Il sort bouleversé par le film et caresse dès lors le rêve de devenir lui aussi réalisateur.
Ses études universitaires achevées, il présente sa candidature pour rejoindre la structure de formation du studio Ghibli, mais il est refusé.
Hosoda montre alors à la caméra ce qu’il considère comme son « trésor », qu’il garde précieusement chez lui : cette fameuse lettre de refus du studio Ghibli. Pourtant, quand il a reçu cette lettre, son premier réflexe a été de rouler en boule cette lettre type (néanmoins signée par Miyazaki lui-même), se terminant sur des encouragements et l’invitant à persévérer...
A cette époque, il ne pensait pas recroiser la route de Miyazaki et encore moins celle du studio Ghibli.
Mais il lui est impossible d’oublier son rêve de réalisation de long métrage d’animation. Il rejoint donc la Tôei. Pendant 9 ans, il travaille pour être reconnu. C’est un court métrage pour la série Dejimon Adobenchâ (Digimon Adventure), qu’il réalise, qui attire finalement l’attention sur lui. C’est alors qu’il reçoit un coup de fil inattendu de Ghibli lui proposant la réalisation d'un long métrage en préparation : Le château ambulant.
Emu, mais plutôt sûr de lui, il se présente au studio Ghibli et commence à travailler sur le storyboard du film. Mais le roman éponyme dont est tiré Le château ambulant est complexe à adapter. Il a du mal à jeter les prémices du script. Et il fait l’erreur de ne demander à personne de l’aider.
« J’avais une confiance en moi-même un peu excessive. En y réfléchissant maintenant, je pouvais peut-être demander des conseils à Hayao Miyazaki ou Isao Takahata. Mais je souhaitais peut-être aussi ne pas trop être dirigé par eux. »
Il est de plus en plus seul, renfermé sur lui-même. 8 mois plus tard, le storyboard n’a pas avancé et il se retrouve dos au mur. Le producteur de l’époque le convoque et lui dit : « Hosoda-kun, on ne peut pas continuer comme ça. » C’était le 21 avril 2002.
« Vous vous souvenez bien de ce jour là ? »
- Oui, je me disais qu’il me serait maintenait impossible de regagner la confiance de quiconque en tant que réalisateur.
En effet, ses difficultés ne sont pas terminées. Il retourne à la Tôei où ses projets sont tous refusés. Dans le milieu de l’animation, on commençait à entendre : « Hosoda est fini. »
Sa mère, son soutien principal, tombe malade. Il hésite alors à rentrer dans sa région natale pour s’occuper d’elle ou persévérer dans le milieu de l’animation. Il choisit finalement de rester fidèle à son rêve d’enfant : tout en pensant à sa mère, il continue de travailler sur des séries TV et de développer en parallèle des projets, sans toutefois avoir l’espoir qu’ils se concrétisent.
Finalement, au bout de 3 ans, le producteur Masao Maruyama (studio Madhouse) séduit par la qualité d’un épisode (le n° 40) de la série Ojamajo Doremi (Magical DoReMi) lui propose la réalisation d’un projet de long métrage : Toki wo Kakeru Shôjo (La traversée du temps).
Surpris par cette proposition, Hosoda décide de tenter le tout pour le tout pour se consacrer à ce projet. Il quitte la Tôei, pour laquelle il a travaillé pendant 14 ans, ne souhaitant pas entendre parler de « plan B » en cas d’échec de ce nouveau projet. Ce n’est plus le même Hosoda qui aborde ce nouveau long métrage. Cette fois-ci, il saura demander l’avis de ses collaborateurs sans orgueil mal placé.
La suite est maintenant plus connue. Bakemono no Ko (Le garçon et la bête) est sorti le 11 juillet 2015 en salles et l’attente du public japonais n’a jamais été aussi forte pour l’un de ses films, surtout depuis l’annonce de la retraite à la réalisation de longs métrages d’un certain Hayao Miyazaki...
Le château ambulant : Adaptation du roman
Le château ambulant est l'adaptation du célèbre roman de la britannique Diana Wynne Jones Howl's Moving Castle (Le château de Hurle en français), publié en 1986 en Grande-Bretagne et seize ans plus tard en France (éditions Le pré aux clercs). Diana Wynne Jones est reconnue comme l'un des meilleurs auteurs de son pays dans le registre du fantastique pour enfants, auquel elle se consacre largement et avec succès depuis 1970, alignant trente titres à son actif.
Couverture de la version britannique, japonaise et française du roman.
L'histoire originale
Sophie est une jeune fille de dix-huit ans, persuadée qu'être l'aînée de la famille est une tare. Pensant que son destin ne lui réserve rien d'intéressant, elle va pourtant être métamorphosée en vieille femme par la cruelle sorcière du Désert. Partie chercher sa fortune ailleurs, elle se retrouvera au château du magicien Hurle, un sorcier prétendument cruel et puissant. Elle fera la connaissance de Michael, son apprenti et Calcifer, son démon du feu. Souvent exaspérée par les caprices et la désinvolture du sorcier, elle apprendra pourtant qu'il est un garçon intelligent et d'une bonté extrême, peut-être corrompu par une grande solitude et un contrat mystérieux passé avec son démon du feu. Sophie devra, sur la demande de Calcifer, découvrir comment rompre ce contrat, tout en cherchant à résoudre les nombreuses énigmes du pays d'Ingary, qui semblent toutes mystérieusement liées à Hurle et à la sorcière du Désert...
L'adaptation de Hayao Miyazaki
Le roman Howl's Moving Castle est une histoire ironique, pleine d'humour, de suspense et de romance qui, bien avant Shrek, s'amusait à détourner les conventions inhérentes aux contes de fée.
Hayao Miyazaki a pourtant pris d'autres directions cinématographiques depuis 1997, à l'époque où il réalisait des films aux thèmes plus sombres. Même s'ils étaient toujours destinés à un public jeune, le message semblait être plus grave. À la suite du Voyage de Chihiro, une œuvre foisonnante, au lyrisme n'ayant d'égal que ses innombrables niveaux de lectures, il était désormais difficile d'imaginer quel tournant prendrait le réalisateur-phare du studio Ghibli, surtout après ses multiples annonces de retraite anticipée. Pourquoi dès lors accepter d'adapter Howl's moving Castle ?
Sur le choix de l'œuvre originale, Diana Wynne Jones explique que « Howl's Moving Castle est un livre très visuel. Je pense qu'il a retenu l'attention de Miyazaki parce qu'il illustre un récit se déroulant simultanément dans plusieurs lieux. Il adore les paysages différents, mêlés ou superposés, et de tels éléments sont surabondants dans le roman. L'animation est vraiment un médium idéal pour relater des événements magiques. J'imagine que Miyazaki peut instantanément réfléchir à la façon dont il va animer un démon du feu. »
Selon le producteur Toshio Suzuki, Miyazaki appréciait l'idée d'une adolescente qu'un magicien aurait transformée en vieille femme. Rares sont les dessins animés dont les protagonistes sont âgés, et le cinéaste a paraît-il longuement réfléchi sur la question du physique de son héroïne. Jones, quant à elle, avait ses propres raisons de la concevoir âgée. « J'ai découvert, en écrivant ce roman, que les femmes mûres sont bien plus amusantes que les jeunes » confie l'auteur. « J'espère que Miyazaki l'a également constaté. Confier le statut d'héroïne a un tel personnage n'a peut être jamais été fait dans le passé, mais cela m'a toujours interpellée. Les gens n'ont tout de même pas l'esprit aussi étriqué ? ».
Jones décrit son contrat avec le studio Ghibli comme minimal. « Mon seul véritable contact fut la rencontre avec un groupe délégué par le studio, venu me voir en compagnie d'interprètes. Ce groupe tenta d'établir une assise visuelle adéquate pour le film. »
Diana Wynne Jones en entretien pour la promotion du film.
Comme pour Kiki, la petite sorcière, le scénario a dévié de l'histoire originale du livre, Miyazaki ayant toujours tendance à ajuster le matériel de base à sa convenance. Mais bien qu'ayant élagué ou modifié beaucoup d'éléments du livre, le réalisateur lui est toutefois resté aussi fidèle que possible dans l'esprit. Jones n'avait, selon ses propres aveux, aucune crainte. « Je suis une admiratrice de Miyazaki depuis de nombreuses années (Ndlr : elle a découvert le réalisateur avec Le château dans le ciel). Il a la faculté de faire des images magnifiques et précises, sans perdre le rythme et l'élan de son histoire. Je suis mal placée pour me défier ou émettre des réserves. Un livre peut être transposé à l'image tout comme il est traduit dans une autre langue. »
On remarque cependant de nombreuses libertés par rapport à l'histoire du roman. Ainsi, dans le roman, les sœurs de Sophie, Lettie et Martha, ont un rôle très important et permettent de mettre en place un imbroglio amoureux digne des meilleurs vaudevilles : Hurle est amoureux de Lettie, qui est en fait Martha, mais cela rend jaloux Michael (qui est un jeune homme et non un petit garçon), qui aime la véritable Lettie (ouf !). Et en fait, celle que Hurle prend pour Lettie est en réalité Sophie qu'il a pu apercevoir jeune ! Cet aspect très confus est totalement abandonné par Miyazaki, car ce nœud sentimental était probablement bien trop complexe à représenter sans perdre complètement l'attention du spectateur. De même il simplifiera le dénouement du roman qui paraît bien trop difficile à représenter. Miyazaki adapte ainsi l'écrit au support visuel, car si le lecteur peut revenir sur un passage incompris, le spectateur, lui, doit comprendre immédiatement ce qu'il voit.
La sorcière Suliman, aux idées machiavéliques, n'est absolument pas celle du roman. D'une part, il s'agit d'un sorcier, et d'autre part, il a disparu depuis plusieurs mois, ainsi que le frère du roi, le prince Justin, qui était parti à la recherche du sorcier royal. Le roi soupçonne la sorcière du Désert comme cause de ces disparitions et embauche Hurle pour les retrouver. L'intrigue est donc très différente. Miyazaki semble abandonner l'idée d'un simple duel entre deux sorciers pour insister sur l'aspect apocalyptique que ce simple conflit peut engendrer. De plus, il préfère éviter un certain manichéisme et nuance chacun de ses personnages. Il n'y a pas ici de « super-méchant », tandis que la sorcière du Désert apparait comme un personnage horrible de l'œuvre de Diane Wynne Jones.
Miyazaki laisse également de côté l'aspect contemporain de l'œuvre. Dans le roman, Hurle est non seulement sorcier, mais aussi un jeune Gallois du XXᵉ siècle, méprisé par sa famille. Dans Le château ambulant, rien de tel, le sorcier ayant visiblement vécu toute son existence à Kingsbury. Miyazaki semble vouloir insister sur l'aspect féérique du conte et non pas sur un aspect réaliste et contemporain.
Après le visionnage du film, Diana Wynne Jones a donné à Animeland ses impressions sur le film : « Je l'ai beaucoup aimé. L'animation est superbe, et j'ai beaucoup ri, autant que quand j'ai écrit le livre. Ce n'est certes pas mon œuvre, mais au moins jusqu'à sa moitié, c'est un film qui pénètre vraiment à l'intérieur de mon livre, et lui rend hommage de la meilleure manière. [...] Mais dans la seconde moitié du film, Miyazaki a choisi de dévier nettement de l'intrigue que j'avais écrite. »