Mes voisins les Yamada : Les haiku
Les haiku qui apparaissent dans Mes voisins les Yamada sont tous nés de la rencontre de Bashô Matsuo (1644 – 1694), Buson Yosa (1716 – 1783), Santôka Taneda (1882 - 1940) et la famille Yamada.
Vous comprendrez en lisant les commentaires ci-dessous.
Une nuit d’automne au silence brisé d’éclats de voix et de rires - Bashô
Les nuits d’automne sont généralement tristes. Toute la famille Yamada s’est perdue, à l’exception de Nonoko. C’est une histoire incroyable et très amusante. Ceux qui la racontent, ceux qui l’écoutent, tous rient aux éclats. Leurs rires brisent le silence de la nuit. Quelle bonne soirée !
Bashô est certainement parmi eux. Il doit être le mari de la dame qui recueille Nonoko.
Une silhouette qui s’efface, solitaire, de dos sous la pluie - Santôka
Ravi de voir tomber les premières neiges, Takashi propose de prendre une photo de famille. Personne ne lui prête attention ; ils sont absorbés par un téléfilm montrant des images spectaculaires d’un accident de montagne. Ignoré par sa famille, il marche dans la neige, le dos voûté, et murmure ce haiku. Il imagine sa silhouette s’effacer, comme s’il s’agissait d’une scène de cinéma. Ici, il ne pleut pas mais il neige. Ce haiku exprime toutefois parfaitement ce que ressent Takashi.
Santôka Taneda l’a certainement entendu murmurer et a composé ce poème de deux fois sept syllabes syllabes (Ndt : un haiku est généralement compose de trois parties de 5, 7 et 5 syllabes mais il existe quelque variantes comme ici). L’auteur, également moine errant, a dû éprouver le même sentiment. L’auteur, également moine errant, a dû éprouver le même sentiment.
Pluies printanières en manteau et parapluie, on parle en marchant - Buson
La famille Yamada que l’on observe en contre-plongée rentre chez elle, sous une pluie de printemps. On dirait que les manteaux et parapluies avancent côte à côte, en se parlant joyeusement.
Buson est témoin de cette scène. Ce haiku ressemble à une peinture raffinée. Il faut dire que Buson était également peintre.
Les cigales invisibles chantent la mort prochaine - Bashô
Shige rend visite à une vieille amie, hospitalisée pour un cancer en phase terminale. Cette dernière lui raconte que la patiente d’à côté a un amant. Elle lui fait visiter tout l’hôpital, accrochée à sa perfusion, et se plaint du goût du café du distributeur automatique.
L’auteur admire la puissante volonté de vivre de cette femme qui connaît pourtant ses derniers instants. Il exprime cela à travers la métaphore des cigales chantant jusqu’au dernier moment de leur courte existence. Au fond, Bashô réfléchit sur le caractère éphémère de la vie et sur le temps qui passe. Cette vieille dame va bientôt mourir, comme les cigales qui chantent avec ardeur, ignorant leur mort prochaine.
D’un piège à pieuvre s’élèvent de vains rêves dans la lune d’été - Bashô
Noboru réclame à sa mère 10 000 yen (environ 80 €) pour le motiver à faire plus d’efforts au lieu de lui payer des cours particuliers qui coûteraient 30 000 ¥ (environ 240 €). Elle refuse. Il s’enferme dans sa chambre au premier étage et de sa fenêtre, regarde distraitement la lune. Il rêve aux 10 000 ¥ envolés. Ce haiku illustre merveilleusement la situation et le sentiment d’un collégien victime de la compétition scolaire. Cet adolescent sensible n’est pas uniquement préoccupé par la question de l’argent.
Bashô est souvent considéré comme un ermite. Néanmoins, ce haiku montre l’intérêt qu’il portait aux problèmes terrestres et particulièrement aux problèmes des jeunes.
Parfum de prunier qui s’exhale dans l’aube du sentier montagnard - Bashô
Noboru reçoit soudain un appel de la fille qu’il aime et prend rendez-vous avec elle. La vie comporte ce genre d’heureuses surprises. Le parfum et les fleurs de prunier, le soleil matinal qui apparaît sur le sentier... chaque élément est une métaphore de la sonnerie du téléphone, de la fille aimée et du rendez-vous inattendu. C’est un poème très réussi qui exprime la joie et la timidité d’un adolescent encore naïf, à travers une fraîche description de la nature.
Ce splendide haiku est digne du poète Bashô.
Tourne-toi vers moi, solitaire également dans le soir d’automne - Bashô
De retour du travail, après avoir bu du saké avec ses collègues, Takashi demande à sa femme quelque chose à manger. Elle ne lui apporte qu’un gâteau aux haricots rouges et une banane. Fâché, il refuse de les manger. Matsuko lui tourne le dos et continue à regarder tranquillement la télévision. Compatissant devant la situation de Takashi, Bashô écrit à ce moment-là : « Tourne-toi vers moi qui suis ton mari, dans le soir d’automne ».
Le poète se rend compte qu’elle s’est uniquement souciée de la santé de son mari qui choisit de manger la banane de bon cœur. Il comprend qu’il ne faut pas juger trop rapidement l’amour d’un couple marié depuis longtemps. Il décide alors de modifier son premier poème. Ainsi naît ce merveilleux haiku exprimant le désir de communication au sein du couple.
Cruelle tanière quand, en-dessous du casque, est pris le grillon - Bashô
Takashi n’a pu faire face aux menaces des motards. Assis sur une balançoire dans un parc grouillant d’insectes, cet homme mûr pense au héros qu’il admirait dans son enfance : « le Masque de Lune », gardien de la justice. Il a en tète le thème principal de ce dessin animé. Tout comme lui, il aurait voulu avoir le courage d’affronter le mal. Tout en enfilant un vieux casque, il rêve d’incarner « le Masque de Lune » qui viendra délivrer sa famille des malfaiteurs. À bout de force, il laisse tomber de ses mains le casque qu’il gardait en souvenir de la construction de sa maison. II éprouve un sentiment de tristesse et d’amertume...
Chaque élément de cette scène est cruel : Takashi ressemblant a un grillon sous le casque qu’il a mis pour se protéger, sa faiblesse, le grillon malchanceux écrasé par le casque qui tombe... Ce haiku reflète très bien les sentiments d’un homme mûr qui, depuis son enfance, fantasme sur un autre monde. Nous pouvons également l’interpréter comme un hommage rendu a un vieux samouraï de l’époque féodale, mort en combattant une puissante armée.
La mer au printemps, les vagues roulent et s’enroulent tout au long du jour - Buson
Nous pourrions penser que la mer au printemps symbolise la vie quotidienne des Yamada qui n’est pas toujours exemplaire mais qui est immuable. Nous préférons cependant y voir la simple description d’un paysage de printemps. La mer est sereine, ses vagues roulent et s’enroulent du matin au soir. En cette saison, les vagues ne sont pas aussi spectaculaires que les flots furieux de l’été. La mer n’est pas non plus agitée comme en hiver. Les vagues remuent parfois juste un peu. Le temps est brumeux. La mer n’est pas tout à fait lisse et claire comme un miroir. Allongés sur la plage, le simple fait de l'écouter et de la regarder nous rassure. C'est également le cas de la famille Yamada, dont la simple présence nous détend.
Au contact de cette famille, Buson a certainement écrit d'autres chefs-d'œuvre.
Les haiku correspondent bien à la famille Yamada... Vous ne trouvez pas ?
Après la guerre, un critique déclara que les haiku étaient un art mineur. De nos jours, ils sont hautement considérés et font partie intégrante de la culture japonaise. Ils illustrent très bien la philosophie profonde de la vie. Je me moque de ceux qui pourraient penser qu'il ne faut pas utiliser les poèmes de grands maîtres dans une telle comédie. Je crains tout de même que certains, gardant de mauvais souvenirs d'écoliers avec les haiku, ne prennent pas plaisir à voir ce film. Néanmoins, les gens qui écrivent des haiku sont extrêmement nombreux, non seulement au Japon mais dans le monde entier. La forme de ce poème, composé de 5, 7, 5 syllabes, est souvent reprise, pour des poésies satiriques ou même pour des slogans de la sécurité routière. Par conséquent, je pense qu'ils ont entièrement leur place dans Mes voisins les Yamada. Dérivée du haiku, la formule « Si un inconnu vous adresse la parole, surtout prenez garde ! » est citée au moment où Nonoko se retrouve seule. Cette phrase est inscrite sur un panneau situé devant l'école voisine du studio Ghibli.
À la fin du scénario de mon dernier dessin animé, Pompoko, j'avais écrit un haiku qui résumait tout le film : « Un blaireau d'abord joyeux et triste ensuite ». Ce poème est une adaptation du magnifique texte de Bashô : « Une pêche au cormoran d'abord joyeuse et triste ensuite ». Dans la bande-annonce du dessin animé, mon haiku était récité par un maître de rakugo (Ndt : histoire comique dite et mimée par des conteurs publics), Shinchô Kokontei. Je n'ai malheureusement pas pu le mettre dans le film.
Suite à cette frustration, lors de l'écriture du projet de Mes voisins les Yamada, j'ai décidé d'inclure des haiku des grands poètes Bashô et Buson. J'ai sélectionné plus de cinquante textes. Le terme générique haikai, qui désigne ce genre de courts poèmes, est ainsi défini dans le dictionnaire : « texte comique, amusant ou drôle ». J’ai donc tout de suite senti que les haiku conviendraient parfaitement à mon film. En fonction d'eux, j'ai choisi des épisodes de la bande dessinée originale, avant de les adapter pour le dessin animé.
J'en ai transposé beaucoup à l'écran mais la longueur du film et le retard déjà pris pour sa production m'ont obligé à faire une stricte sélection. Je n'ai conservé que neuf haiku. De nombreux poèmes, parmi ceux qu'avait enregistré le maître Kosanji Yanagiya, ne sont pas dans le film. Je lui en demande pardon.
Une fois de plus, j'ai pu constater la virtuosité des poètes Bashô et Buson. À première vue, leurs haiku ont l'air de décrire la nature et n'avoir aucun rapport avec les humains. En fait, ils parlent de sentiments et d'événements de la vie toujours semblables au travers des âges. C'est très étonnant, non ?
Isao Takahata