Kié, la petite peste : Production
Le projet et la production
La production du film Kié, la petite peste s'est faite dans un climat particulier, celui d'une ère post-Tôei. Vers la fin des années 70, plusieurs grands animateurs, dont Yasuo Ôtsuka (participation au Serpent blanc, Horus, prince du soleil, Le chat botté, Conan, le fils du futur...), avaient démissionné du légendaire studio d'animation japonaise. Ce dernier intègre alors le studio Telecom. C'est au sein de ce studio qu'on lui propose de participer à l'adaptation d'un manga célèbre, Jarinko Chie, commandée par Tokyo Movie Shinsha. Ôtsuka fait alors appel à ces anciens camarades de la Toei, Yôichi Kotabe en tant que chargé du character design et de l'animation, et bien sûr Isao Takahata, qui sera le réalisateur du film.
Le réalisateur de Horus n'avait pas attendu la fin des années 70 pour quitter la Tôei. Dès 1971, Takahata avait démissionné, entraînant avec lui deux animateurs (Kotabe et bien sûr Hayao Miyazaki). Il intègre ensuite le studio A Production. Il réalise avec Miyazaki des séries télévisées comme Lupin III / Edgar de la cambriole ou Heidi. Entre 1976 et 1981, il réalise parallèlement à son travail régulier pour les grands studios le long métrage Gauche le violoncelliste. Takahata est donc loin d'être un inconnu pour le grand public. Avec Kié, la petite peste, il retrouve donc ces anciens collaborateurs et accepte de réaliser ce projet étonnant pour l'époque, si l'on considère que la mode était alors aux séries sportives et aux vaisseaux spatiaux ! « J'imagine toutefois que ni monsieur Takahata ni monsieur Kotabe ne m'ont suivi dans la réalisation de Kié, la petite peste, seulement par amitié », explique Yasuo Ôtsuka, le directeur de l'animation. « Ils étaient tous les deux convaincus, comme je l'étais moi-même, que leurs contributions pouvaient faire prendre un tour décisif à ce film d'animation. »
Kié, la petite peste est un projet d'envergure, car il s'agit d'adapter l'œuvre à succès d'Etsumi Haruki, paru hebdomadairement dans la presse puis dans une édition de poche comprenant plus de 67 tomes. Adapter un manga est certes une chose courante dans l'animation nippone, cependant, l'œuvre de Haruki était si originale qu'il a fallu un certain temps avant de trouver un juste milieu entre une fidélité absolue au manga et une totale adaptation du manga au support visuel. Ainsi, Yôichi Kotabe explique qu'« au départ, un premier scénario a été écrit, radicalement différent de l'esprit du manga mais il n'a pas été retenu. » En effet, quand Isao Takahata arrive sur le projet, il décide de remanier le scénario en y apportant une touche personnelle. « Au final, on n'a pas franchement travaillé sur une base de scénario classique. Nous voulions respecter les nuances du manga. Nous avons conçu un storyboard à partir de ce dernier », explique Kotabe.
Le manga d'Etsumi Haruki était une succession de sketchs. En respectant l'œuvre originale, le long métrage ne pouvait donc pas adopter une narration classique. Takahata choisit alors de mettre en scène différentes scénettes de la vie quotidienne de Kié et de son entourage, tout en y ajoutant une trame narrative en arrière-plan, le possible retour de la mère de Kié au sein de sa famille, ce qui est un pari très risqué pour un film d'animation. Pour bien comprendre la particularité d'Ôsaka, ville où se situe tout le film, Ôtsuka et Takahata effectuèrent des repérages dans les quartiers les plus défavorisés de la ville. Ôsaka est en effet réputée pour son accent inimitable et un humour qui lui est propre, souvent méprisés et jugés vulgaires par les Tokyoïtes. Il était donc nécessaire de bien comprendre la spécificité de la ville pour demeurer fidèle au manga d'Haruki. Takahata décide alors de choisir des comédiens de la région pour doubler ses personnages et permet ainsi de revaloriser la ville d'Ôsaka par ce film teinté d'humour et de tendresse.
Illustration du quartier de Shinsekai autour de la tour Tsûtenkaku. En rouge, l'arcade Janjan Yokochô où se situe principalement l'action du film.
Lorsqu'il sort en avril 1981, après seulement quatre mois et demi de production, Kié, la petite peste ne connaît qu'un succès très relatif, tout juste suffisant pour rembourser les frais de production. En revanche, le film connaît un plus grand succès dans la région d'Ôsaka et continue une carrière prestigieuse par le biais de sa diffusion vidéo.
La mise en chantier d'un second long métrage fut rapidement envisagée. Finalement, ce sont deux séries télévisées de 64 épisodes qui furent réalisées. La collaboration de Takahata fut assez limitée. Il réalisa quelques-uns des premiers épisodes de la série et arrangea un thème musical, mais un autre projet lui accaparait l'esprit, celui de la création du studio Ghibli.
Peko-chan, la mascotte du confiseur Fujiya, bien connue des Japonais, en invitée surprise.
L’épisode 2 de la série TV réutilisera ce même gag, lui-même issu du manga. Mais Peko-chan sera remplacée par Arale de la série Dr Slump. Par la suite, la mascotte de Fujiya sera elle aussi effacée des rééditions du manga.
L'adaptation du manga
L'adaptation du manga
Kié, la petite peste est à l'origine un manga à succès écrit par Etsumi Haruki, vendu en plusieurs millions d'exemplaires. Son traitement graphique original et son succès pousse le réalisateur à rester fidèle au manga.
Cependant, Isao Takahata prend quelques libertés avec l'œuvre originale. Ainsi il explique que « pour les besoins de la narration cinématographique, nous avons intégré au film plusieurs scènes n'étant pas issues du manga, mais toujours en cherchant à rester très conforme à l'esprit de ce dernier. » Il est également nécessaire de faire ces coupes. Ainsi, le personnage de Hirame, visible dans le manga, n'a pas pu être intégré au film.
Le deuxième problème de l'adaptation était l'introduction de couleurs, là où le manga était en noir et blanc. Ainsi, Yôichi Kotabe explique qu'il a beaucoup « travaillé sur les couleurs » et a « prêté une grande attention à la place du noir, que ce soit à travers les cheveux de jais de Kié ou la chemise noire de son père. » Pour cela, il effectue une véritable recherche de couleurs s'accordant avec le noir, sélectionnant avec soin les couleurs pour les cellulos.
Nous avons déjà évoqué le choix narratif de Takahata, mêlant à la fois sketchs et intrigue principale, évitant ainsi une trop grande trahison par rapport au manga. Cependant, une fois cet écueil franchi, un autre problème se pose alors. En effet, l'univers graphique du manga fourmillait de contraintes dont il a fallu tenir compte pour la réalisation du film, sous peine de travestir complètement l'œuvre d’Haruki. Ainsi, le graphisme du manga est assez plat. Un des personnages est même représenté seulement par un rectangle grossier et deux yeux ronds. D'autre part, les personnages sont systématiquement dessinés soit de face, soit de profil. Cela posa évidemment des problèmes pour les animateurs qui devaient rendre des volumes. Pour le personnage de Kié, l'une des solutions trouvées fut de rendre compte de son expressivité par l'intermédiaire de ses joues, qui deviennent rouges et se déforment beaucoup.
« J'ai eu de la peine à dessiner fidèlement les muscles des joues de Kié qui changent selon ses sentiments : joie, colère, tristesse... », décrit Kotabe. « Ils sont l'un des principaux vecteurs d'émotion du personnage. Les yeux aussi étaient difficile à réinventer (ce ne sont que des petits points dans le manga original). Dans le manga leur représentation était très efficace. Mais si nous les avions dessinés de la même façon, nous ne serions pas arrivés à un résultat satisfaisant en animation. Les prunelles auraient semblé trop proches l'une de l'autre. Il a donc été nécessaire de changer l'expression des yeux. »
Comme Kié a un visage plat et que Takahata souhaita rester fidèle à cette caractéristique, il a dû éviter que l'héroïne soit montrée dans le film de 3/4. Pour y parvenir, il a employé des mouvements d'appareil rapides ou des effets de montage serrés pour replacer Kié de face. De même, il a fallu éviter les plans où des protagonistes regardent vers le haut, à cause des contraintes engendrées par la représentation du menton pour des personnages ayant un visage plat (la difficulté pour représenter de manière satisfaisante en animation des personnages ayant un visage plat explique en partie l'abandon par l'animation commerciale des caractères faciaux asiatiques).