Le tombeau des lucioles : Art et technique
Lorsque l'on est venu demander à Isao Takahata s'il voulait réaliser Le tombeau des lucioles, celui-ci fut plongé dans un certain embarras. En effet, au départ, il avait pensé ce film dans une autre perspective que le rendu habituel en cellulo : « Il me semblait que pour cette histoire, il faillait essayer de trouver d'autres moyens d'animation que le seul cellulo traditionnel, et qu'il fallait trouver le temps de faire des essais pour obtenir un autre résultat visuel, quitte à essuyer des échecs. » C'est ce qu'il pourra faire onze ans plus tard, grâce à l'informatique, avec Mes voisins les Yamada.
Toutefois, quand il a fallu travailler sur Le tombeau des lucioles en 1987, on a fait comprendre à Takahata qu'il n'était pas possible d'expérimenter quoi que ce soit, car le film devait sortir au mois de mars de l'année suivante. Takahata était dans l'impasse, et c'est alors que Hayao Miyazaki vint lui dire : « Si tu ne réalises pas ce film aujourd'hui, il n'y aura sans doute pas d'autre occasion, pour toi, de faire un tel film. » Takahata en était bien conscient et, bon gré mal gré, il se résout à changer d'orientation et ramène le film à une vision plus adaptée au cellulo.
Takahata est coutumier du fait d’être en retard pour ses films. Pour Le tombeau des lucioles, il ne déroge pas à la règle : le film prend un retard considérable. L’éditeur Shinchôsha, producteur du film, contraindra cependant Takahata à tenir ses délais. Cela aboutira finalement à la sortie du film avec une scène non achevée.
À la brièveté de la période de réalisation, se sont ajoutés des problèmes techniques, du fait du lancement de deux productions simultanées. Les effectifs n'étaient absolument pas suffisants et le studio a fait de nouveau appel à Tôru Hara (ancien de la Tôei, président du studio Topcraft), pour sa longue expérience dans la gestion et la production. Hara fut donc le producteur sur les deux films.
Il manquait des dessinateurs et Takahata tenait absolument à travailler avec Yoshifumi Kondô. À l'époque ce dernier travaillait pour Nippon Animation. Mais un dessinateur de talent était nécessaire au centre de l'équipe du Tombeau des lucioles puisque Takahata ne dessine pas. Hara l'a très bien compris : il est allé voir Kondô et l'a convaincu de venir travailler pour eux.
Settei (planches de modèle) signés Yoshifumi Kondô.
Notez l'abondance de motifs sur les vêtements de Setsuko, difficulté supplémentaire pour les animateurs.
Cette venue a été décisive pour la réalisation du film. Kondô a en effet joué un rôle central dans la genèse graphique du film, tant au niveau de la création et le design des personnages qu'au niveau de l'animation. Il est arrivé à restituer les expressions du visage les plus crédibles et émouvantes possibles. On ne peut que rester bouche-bée devant le réalisme de la gestuelle des personnages ou les expressions de la fillette. On raconte que pour les gestes de Setsuko, il s'est inspiré de ceux de Brigitte Fossey dans Jeux interdits.
Pour les décors, alors que pour Mon voisin Totoro Miyazaki a fait appel à Kazuo Oga, Takahata a travaillé avec Nizô Yamamoto. On remarquera la grande différence entre les travaux des deux directeurs artistiques : le monde clos du Tombeau des lucioles s'oppose au monde très ouvert décrit dans Totoro. La minutie avec laquelle le cadre de vie quotidien est décrit dans ses moindres détails, s'appuie sur un travail d'une qualité qui a sans doute été le premier fondement de la réputation du studio Ghibli dans leurs représentations du monde.
La musique de Michio Mamiya est sublime, intense, triste souvent, et arrive à point nommé pour faire tomber la larme hésitante que le spectateur a à l'œil. Enfin, le doublage est sans doute un des plus incroyables qu'il nous ait été donné d'entendre : Tsutomu Tatsumi joue Seita à la perfection, et Ayano Shiraishi, âgée de seulement six ans en 1988, donne une interprétation inoubliable de Setsuko. Il faut l'entendre s'esclaffer ou appeler pitoyablement son « nii-chan... » (grand frère).