Mis à jour : dimanche 24 mars 2024

Isao Takahata : Sa biographie

Enfance et études

Isao Takahata est né le 29 octobre 1935 à Ise dans la préfecture de Mie. Dernier des 7 enfants de la famille, le jeune Isao est un garçon plutôt ordinaire (« J'ai eu une enfance somme toute banale, et j'ai noué avec mes frères et soeurs des liens sereins et normaux »). Sa famille est contrainte à des déménagements fréquents et précipités du fait du travail précaire de son père, mais aussi à cause de la guerre pour fuir les bombardements.

En 1941, Takahata entre à l'école primaire d'Ôkayama. Pendant cette période et malgré la guerre, il en profite pour aller au cinéma. Sa première découverte d'un film d'animation est Kumo to Chûrippu (L'araignée et la tulipe, 1943) de Kenzô Masaoka. C'est le début d'une série de coups de foudres pour l'œuvre de Masaoka qui deviendra un des cinéastes de référence de Takahata pour construire sa carrière de réalisateur.

En 1945, Isao, alors âgé de 10 ans, vit l'évènement le plus traumatisant de sa jeune vie : fuyant un raid aérien avec sa sœur ainée, il perd de vue ses parents dans la foule et ne les retrouve que deux jours plus tard. Bien que Takahata n'ait jamais réalisé des films autobiographiques, la fuite de Seita et Setsuko sous pluie de feu dans son film Le tombeau des lucioles fait sans doute également écho à cet épisode dramatique.

En 1954, son diplôme obtenu à la sortie du lycée Asahi de Ôkayama, Takahata entre à l'université de Tôkyô, dans le département des Beaux Arts. C'est durant ces années à l'université que Takahata se familiarise avec la culture et la littérature française. Il prend conscience de toutes les possibilités visuelles et formelles de l'animation lorsqu'il découvre sur grand écran le chef-d'œuvre animé de Paul Grimault : La bergère et le ramoneur (qui devient plus tard Le roi et l'oiseau). En avril 1956, il abandonne les Beaux Arts et entre au département de littérature française et c'est dans cette spécialité qu'il sort diplômé de l'université, en mars 1959.

Isao Takahata célébrant son 20ᵉ anniversaire en famille.

Début de carrière à la Tôei Dôga

Isao Takahata a pourtant déjà choisi depuis plusieurs mois d'opter pour une carrière complètement différente de ses études : il veut devenir cinéaste d'animation. A peine un mois après sa sortie de l'université, il parvient à entrer au studio d'animation de la Tôei (qui deviendra par la suite Toei Animation), fondé en 1956, et qui a notamment pour but de réaliser des longs métrages pour le cinéma.

Au sein du studio, il débute comme assistant metteur en scène sur les premiers longs métrages et côtoie ainsi Yasuji Mori (animateur pionnier qui a notamment lancé le système de direction de l'animation au Japon) et le vétéran Yasuo Ôtsuka (un des trois fondateurs de la Tôei Dôga). Il devient aussi ami avec Hayao Miyazaki à travers le syndicat des animateurs du studio. Il en est alors le vice-président, le président (secrétaire général) étant Miyazaki lui-même.

Hayao Miyazaki et Isao Takahata.

Takahata fait ses débuts en tant que réalisateur dès 1963 sur des épisodes de la série télévisée Ôkami Shônen Ken (Ken, l'enfant-loup). Faisant preuve d'un talent indéniable, il est choisi par Ôtsuka en 1965 pour mettre en scène son premier long métrage : Taiyô no Ôji : Horusu no Daibôken (Horus, prince du soleil). Avec ce film, Takahata et son équipe ont pour ambition de révolutionner l'animation japonaise. Ils optent pour un ton plus adulte que les œuvres précédentes de la Tôei, avec comme but de s'adresser à toutes les générations, et non plus aux seuls enfants. A travers la création du film, Takahata donne une véritable envergure au rôle de réalisateur et innove dans la mise en scène en intégrant des techniques cinématographiques propres aux films en prise de vue réels. Takahata laisse également une grande liberté aux animateurs. Miyazaki travaille d'ailleurs comme animateur clé et apporte de nombreuses idées dans la conception scénique.

Isao Takahata à l’époque de la production de Horus, prince du soleil.

Le film-manifeste d'une groupe d'idéalistes de l'animation est malheureusement un échec commercial avec des conséquence funestes pour l'équipe : des vétérans du studio sont renvoyés, Ôtsuka perd la moitié de son salaire et Takahata est rétrogradé au rang d'assistant réalisateur. Convaincu que les perspectives de carrière à la Tôei Dôga ne le mèneront nulle part, Takahata décide de quitter le studio deux ans (et deux séries TV) plus tard.

La période World Masterpiece Theatre

En 1971, Isao Takahata quitte donc la Tôei Animation pour rejoindre le studio A Production. Il entraine avec lui l'animateur Yôichi Kotabe et Hayao Miyazaki et y retrouve Yasuo Ôtsuka, arrivé plus tôt. Pour son premier poste, Takahata est préssenti pour réaliser la future série TV Nagakutsushita no Pippi : Sekai Ichi Tsuyoi Onna no Ko (Fifi Brindacier), mais le projet n'aboutit pas.

La collaboration de Takahata avec Miyazaki se poursuit en 1972 et 1973 avec notamment les réalisations de la série télévisée Rupan Sansei / Lupin III (Edgard de la cambriole) et les moyens métrages Panda Kopanda et Panda Kopanda : Amefuri Circus no Maki (Panda, petit panda).

En 1974, il est choisi pour diriger Arupusu no Shôjo Haiji (Heidi). Cette série de 52 épisodes que Takahata réalisera intégralement, avec l'appui de Miyazaki sur l'animation et la conception scénique, marque le début du cycle des séries annuelles des Sekai Meisaku Gekijô, ou World Masterpiece Theater (« Les œuvres classiques du monde entier »), qui consiste à adapter des romans célèbres de la littérature pour enfants. Takahata réalise deux autres de ces séries annuelles pour le compte de la Nippon Animation : Haha wo Tazunete Sanzenri (Marco / 3 000 lieues en quête de mère) en 1976 et Akage no An (Anne, la maison aux pignons verts) en 1979. Elles connaissent également un grand succès auprès des enfants comme des parents.

Isao Takahata avec Hayao Miyazaki et Yôichi Kotabe, devant la fontaine Heidibrunnen à Maienfeld,
lors du voyage de repérage en Suisse pour la série TV Heidi.

Entre Heidi et Anne, la maison aux pignons verts, Takahata participe à de nombreux autres projets en tant que storyboarder, metteur en scène ou scénariste, notamment sur la série Mirai Shônen Konan (Conan, le fils du futur), réalisé par son ami Miyazaki.

Entre 1976 et 1981, tout en travaillant au sein des grands studios d'animation, il se consacre à la réalisation du long métrage Serohiki no Gôshu (Gauche le violoncelliste), au studio de sous-traitance Oh! Production. Le film non commercial, hommage à l'œuvre de l'écrivain Kenji Miyazawa, est récompensé par le prix Ôfuji, la distinction annuelle de référence pour l'animation au Japon.

Parallèlement, Takahata travaille avec Ôtsuka au sein du studio Telecom Animation Film sur un autre long métrage : Jarinko Chie (Kié, la petite peste), qui sortira en avril 1981 et sera ensuite décliné en série télévisée, qu'il réalisera également.

En 1982, il intègre la préproduction du long métrage Nimo (Nemo), une co-production nippo-américaine. Mais, comme Miyazaki et l'animateur Yoshifumi Kondô, il abandonne assez vite le projet et le poste de réalisateur qui lui est confié.

Ses réalisations au sein du studio Ghibli

Quand Yasuyoshi Tokuma propose à Hayao Miyazaki de réaliser la version animée de son manga Kaze no Tani no Naushika (Nausicaä de la Vallée du Vent), celui-ci émet une condition : Isao Takahata doit en être le producteur. C'est la première fois que Takahata produit un long métrage, mais il fait un travail formidable qu'il réitère avec la production de Tenkû no Shiro Rapyuta (Le château dans le ciel). En 1987, il est à son tour produit par Miyazaki pour son documentaire en prise de vue réelle, Yanagawa Horiwari Monogatari (L'histoire du canal de Yanagawa).

Hayao Miyazaki et Isao Takahata.

Entre-temps, Takahata fonde en 1985 le studio Ghibli avec Miyazaki. Cependant, si Takahata a été un des membres fondateurs du studio, il n’a jamais voulu se considérer comme un membre à part entière de ce dernier, préférant être un « consultant » et garder ainsi son indépendance. Le producteur Toshio Suzuki raconte ainsi que le jour de la signature de l’acte de fondation, Takahata avait même oublié son sceau et n’a cessé de dire à Miyazaki qu’il ne fallait pas ainsi s’aliéner à un studio.

Son premier long métrage au sein du studio Ghibli est Hotaru no Haka (Le tombeau des lucioles) en 1988. Il est suivi de Omohide Poroporo (Souvenirs goutte à goutte) en 1991 et de Heisei Tanuki Gassen Ponpoko (Pompoko) en 1994, qui remportent tous deux un grand succès. En 1999, il fait un pari osé, aussi bien dans la forme que dans la teneur, en réalisant Hôhokekyo Tonari no Yamada-kun (Mes voisins les Yamada). Le succès commercial est mitigé, le film peinant à rentrer dans ses frais, contrairement à ceux de Miyazaki à la même période.

Selon les rumeurs, Isao Takahata a quitté la structure du studio Ghibli après la réalisation de Mes voisins les Yamada, même s'il en était toujours salarié. En effet, on a su peu de choses sur les activités de Takahata depuis 2000. Toujours curieux des productions étrangères, il est à l'origine de la distribution des films d'animation français Kirikou et Les triplettes de Belleville.

On sait également que, depuis longtemps, Takahata se passionne pour l'emaki, rouleau composé de peintures et de calligraphies se lisant en largeur de droite à gauche. Ce genre artistique, apparu au XIIᵉ siècle, est le premier exemple d'association de la lettre et de l'image et il marquera profondément par la suite la peinture japonaise. Le réalisateur a rédigé un ouvrage sur le sujet et a donné de nombreuses conférences, notamment en France, à l’abbaye de Fontevraud.

Isao Takahata en Master Class à l’abbaye de Fontevraud en juillet 2007.

Isao Takahata et son ami Michel Ocelot, venu lui rendre visite à l’abbaye de Fontevraud.

Il a également participé, en 2003, à une œuvre animée collective intitulée Fuyu no Hi (Jours d'hiver), aux côtés d'autres grands noms de l'animation, comme Youri Norstein.

En 2006, dans un entretien donné à Buta Connection, il confirme qu'il a commencé à travailler sur un nouveau long métrage au sein du studio Ghibli. Mais des problèmes de santé ont mis un frein à ce projet extrêmement ambitieux et ce n'est qu'en 2012 que la production ne reprend véritablement. Kaguya-hime no Monogatari (Le conte de la princesse Kaguya) finit par sortir au Japon en novembre 2013, plus de 14 ans après le précédent long métrage du réalisateur. Même si le film n'a pas le succès escompté au box-office, Takahata a avoué être extrêmement fier de ce qui sera son ultime long métrage et qu'il considère comme un véritable aboutissement artistique.

Isao Takahata fête son 77ᵉ anniversaire avec l'achèvement de son dernier long métrage.

Ses dernières années

Suite à l'échec du long métrage Omoide no Mânî (Souvenirs de Marnie) de Hiromasa Yonebayashi, le studio Ghibli arrête la production de longs métrages. Cela n’empêche pas Isao Takahata de réfléchir à de nouvelles réalisations : « J’ai des projets qui me tiennent à cœur et que j’aimerais réaliser, même si je ne suis plus tout jeune et que les difficultés de financement font perdre beaucoup de temps... »

Le 7 avril 2015, le réalisateur est élevé au rang d'officier de l’Ordre des Arts et des Lettres par l'État français. Au cours de la cérémonie qui s'est tenue à Tôkyô, Takahata déclare : « La France est le pays où j'ai le plus voyagé et je suis des plus heureux d'être décoré par la nation dont je me sens le plus proche ».

Fervent pacifiste et critique de la politique du gouvernement du premier ministre conservateur Shinzô Abe, Takahata participe, en 2015, au mouvement d’opposition au projet de faire adopter des lois sécuritaires visant à faciliter le recours à la force armée par le Japon. Il est l’un des fondateurs du groupe Eigajin Kyûjô no Kai (« Les cinéastes pour l’article 9 ») pour la défense de l’article 9 de la Constitution, proclamant le renoncement à la guerre du Japon. En conférence de presse, toujours en 2015, notre éternel amoureux de la culture française déclare préférer, à la citation latine « Si tu veux la paix, prépare la guerre », le vers du poète Jacques Prévert : « Si tu ne veux pas la guerre, répare la paix » du poème Cagnes-sur-Mer (1953).

En 2014, pour que le Premier ministre Shinzô Abe et le parti libéral-démocrate ne remette pas en cause l’article 9 de la Constitution pacifiste japonaise, Isao Takahata invitait les Japonais à voter pour les partis d’oppositions. Le PLD du Premier ministre remporta néanmoins ces élections législatives anticipées.

À deux reprises, fin mars 2015 puis en novembre 2016, lors de ses venues à Pontoise puis au Forum des images à Paris, Isao Takahata fait part d'un projet de court métrage. Comme pour Le conte de la princesse Kaguya, il est prévu de confier la direction de l'animation à Osamu Tanabe et la production à Yoshiaki Nishimura.

Mais des difficultés de financement puis des problèmes de santé vont empêcher le réalisateur de concrétiser cet ultime projet. À partir de l'été 2017, il fait plusieurs allers-retours à l'hôpital pour des problèmes cardiaques. En novembre 2017, son état de santé se détériore encore, cette fois à cause d'un cancer du poumon. Isao Takahata décède dans la nuit du 5 avril 2018 dans un hôpital de Tôkyô des suites de son cancer, à l'âge de 82 ans.


Sources : Animeland hors-série n° 3 - The art of emotion, il cinema d'animazione di Isao Takahata de Mario A. Rumor - entretien donné au journal Libération en 2014 - article du journal Le Monde du 6 avril 2018