Sherlock Holmes : Création de la série
Origines et production
Le projet
En 1981, Marco Pagot, fils du co-créateur du personnage de Caliméro, propose à la RAI un projet de série animée. La RAI accepte et s'associe pour la réalisation à la société TMS (Tokyo Movie Shinsha), studio ayant produit les séries cultes Cobra Space Adventure (Cobra), Cat's Eye (Signé Cat's Eyes) ou encore Berusaiyu no Bara (Lady Oscar). Il s’agit d’adapter les aventures du héros de Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes. L’originalité du projet est de représenter les personnages sous des traits animaliers, et le public visé est celui des plus jeunes. Hayao Miyazaki, qui a déjà travaillé pour TMS sur la série Rupan Sansei / Lupin III (Edgar de la cambriole), se lance dans le projet baptisé alors Sherlock Hound, jeu de mots sur le terme hound, signifiant en anglais à la fois « chien » et « traquer ».
L’italien Marco Pagot conçoit le design des personnages et Miyazaki réalise les storyboard. En décembre 1981, la réalisation du pilote La petite cliente peut débuter. Marco et sa sœur Gi Pagot (auxquels Miyazaki rend hommage dans Porco Rosso à travers les noms de Marco Pagot et de Gina), et Kyôsuke Mikuriya (réalisateur notamment d’Ulysse 31) font partie de l’équipe de Hayao Miyazaki. D’autres futurs membres du studio Ghibli collaborent également aux premiers épisodes : Tsukasa Tannai (directeur de l'animation sur Le château dans le ciel) et Yoshifumi Kondô au character design, Nizô Yamamoto (Conan, le fils du futur, Le tombeau des lucioles) aux décors... Sans compter d’autres grands noms de l’animation japonaise, comme Kentarô Haneda pour la musique (Chôjikûyôsai Makurosu (Macross), Cobra), Sunao Katabuchi (Kiki, la petite sorcière, Arîte-hime (Princesse Arete)) et Tsunehisa Itô (Ie Naki Ko (Rémi sans famille), Kidô Senshi Gandamu F91 (Mobile Suit Gundam F91)) au scénario. Miyazaki prend en charge la mise en scène et participe également au scénario.
Plusieurs essais de character design pour Sherlock Holmes.
Cependant, en mai 1982, la série est brusquement interrompue alors que seulement 6 épisodes sont réalisés : La petite cliente, Le rubis bleu, Le trésor de la mer, La disparition des pièces d’or, L’enlèvement de Madame Hudson et L’aéropostale. La rumeur affirme que les héritiers de Conan Doyle sont la raison de ce brusque arrêt. En réalité, c’est le manque d’engagement des italiens qui aboutit à cette interruption.
Les versions cinématographiques
Hayao Miyazaki se lance alors dans la réalisation d’un autre projet, l’adaptation de son manga Nausicaä de la Vallée du Vent. En 1984, alors que le film est terminé, Tokuma Shoten propose de diffuser en première partie le film Sherlock Hound, composé en réalité de deux épisodes de la série mis bout à bout, Le rubis bleu et Le trésor de la mer. Pour la version cinématographique, le doublage, la musique et les génériques ont été refaits, les dialogues et certains noms de personnages ont été modifiés.
Le succès de Nausicaä de la Vallée du Vent relance alors la série, qui reprend sans Miyazaki. Si le reste de la série, qui s’achèvera au bout de 26 épisodes, est assez inégal, la qualité technique demeure et la patte de Miyazaki est encore visible. Par ailleurs, certains de ses anciens collaborateurs, comme Kenji Hayakawa et Seiji Okuda, continuent de participer à l’aventure.
L'ensemble de la série sera diffusée sur la chaine japonaise TV Asahi de novembre 1984 à mai 1985. En août 1986, L’enlèvement de Madame Hudson et L’aéropostale seront à leur tour diffusés en première partie d’une œuvre de Miyazaki, Le château dans le ciel.
Chirashi (flyer) du film Le château dans le ciel annonçant la projection du film et de deux episodes de Sherlock Holmes réalisés par Hayao Miyazaki.
L’exportation
Là encore, la série innove, puisque pour la première fois, une série japonaise sort quelques jours avant d’être diffusée au Japon. En effet, Sherlock Holmes étant une co-production internationale, la série peut bénéficier d’une sortie simultanée dans plusieurs pays. Et cocorico, c’est la chaîne cryptée Canal+ qui obtient l’exclusivité et qui diffuse l’intégralité de la série dans son émission Cabou Cadin.
La série sera ensuite rediffusée en France dans l’émission d’Antenne 2 Récré A2, puis sur TF1, dans le fameux Club Dorothée. Il faudra attendre 2005 et l’émission de France 5 Midi Les Zouzous pour une rediffusion récente. La série ne connaît pas le succès populaire d’autres titres, comme UFO Robo Gurendaizâ (Goldorak) ou Doragon Bôru Zetto (Dragon Ball Z), mais elle reste néanmoins très appréciée des fans.
L'adaptation des romans de Conan Doyle
Il est assez drôle de remarquer que la série animée ne reprend finalement que les personnages de Sir Arthur Conan Doyle, sans jamais adapter une seule de ses aventures.
Par ailleurs, le but de la série animée étant avant tout le comique, on remarque que les traits les plus noirs des personnages créés par l’écrivain ont été effacés. Ainsi, le Sherlock Holmes de Hayao Miyazaki aime le violon et la pipe, comme chez Doyle. Mais il n’est pas misogyne, ne mène pas une vie de bohème, et ne prend ni héroïne, ni morphine. Il n’est pas non plus égoïste et sensible aux flatteries, comme peut l’être parfois le personnage de Doyle.
La représentation canidée du docteur Watson semble plus fidèle au personnage de Doyle. En effet, ce dernier est un homme de taille moyenne, il est plutôt râblé et porte une moustache. Chez Doyle, c’est lui qui raconte les aventures de Holmes. Dans la série, c’est lui qui permet de faire comprendre aux spectateurs les déductions de Holmes par ses questions incessantes. Dans les deux cas, il demeure le compagnon dévoué mais naïf de Holmes, une sorte de faire-valoir. La principale différence réside avant tout dans son rapport aux femmes. En effet, chez Doyle, Watson est un séducteur qui plaît aux femmes. Il est également invalide, ce qui n’apparaît pas dans la série. Quant à Madame Hudson, elle n’est dans l’ouvrage de Doyle que la logeuse de Holmes, un personnage assez anecdotique.
L’ensemble de la série s’attache avant tout à représenter la lutte entre Holmes et Moriarty. Or, chez Doyle, le professeur n'apparaît que dans deux des soixante aventures de Sherlock Holmes. Seul Holmes le rencontre, Watson ne l’apercevant qu’une seule fois au loin. Si Moriarty apparaît dans la série comme un méchant d’opérette incapable de mener à bien l’un de ses plans, il apparaît comme un brillant malfrat chez Doyle, « le Napoléon du crime », selon Watson. Son titre de professeur est dû à sa jeunesse, où il excellait en mathématiques. Par ailleurs, c’est lui qui cause la mort de Sherlock Holmes dans Le dernier problème (bien que la pression des lecteurs pousse Doyle à ressusciter le détective !).
Moriarty chez Sir Arthur Conan Doyle et chez Hayao Miyazaki.
On constate donc que si le cadre des romans est respecté et si les principaux protagonistes sont présents, le roman et la série ont très peu de points communs, qu’il s’agisse du ton, de l’intrigue et même de certains traits de caractère des personnages. Le but de la série est avant tout de faire rire et de donner une image positive du héros, qui ridiculise sans cesse un méchant de pacotille finalement très attachant.
Art et technique
Le graphisme
La série bénéficie d’un budget conséquent, lui permettant d’avoir deux fois plus de cellulos qu’une série ordinaire. L’animation est donc d’une fluidité rare pour une production en série de l’époque. On remarque également un véritable effort concernant les décors qui plongent le spectateur dans le Londres victorien, aux façades aux riches ornementations de style éclectique, sans compter les costumes, et les machines à vapeur du début de l’ère industrielle.
Exemple de façade éclectique reprise dans les décors de la série.
Exemples de machines du début de l’ère industrielle, farfelues ou non, visibles dans la série.
Concernant le character design, on remarque une véritable recherche dans les traits des personnages. Bien qu’il s’agisse de canidés, les personnages ont un physique immédiatement reconnaissable, qui reflète parfaitement leur psychologie. Dans la filmographie de Hayao Miyazaki, il est rare de voir cet anthropomorphisme. On peut d’ailleurs remarquer que le réalisateur avait initialement représenté Madame Hudson sous des traits humains, ce que la RAI a refusé catégoriquement. Le choix de représenter des animaux possède évidemment l’avantage d’attirer un public jeune et le cas de Sherlock Holmes est loin d’être unique dans l’animation. Disney est évidemment la référence de ce type de character design, et le personnage de Sherlock Holmes n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de Robin des Bois. Quant à Moriarty, il est parfaitement dans la lignée des Grands Méchants Loups complètement dingues de Tex Avery.
Dans les croquis préliminaires, Madame Hudson
est représentée sous des traits humains.
Le doublage
En France, le doublage de Sherlock Holmes est dans l’ensemble de très bonne qualité, même si on remarque tout de même des changements malvenus chez les doubleurs et une certaine « francisation » des dialogues. Ainsi, à l’instar de séries comme Hokuto no Ken (Ken le Survivant), des dialogues ont été ajoutés ou modifiés. Bien souvent, il faut avouer que le résultat est assez drôle.
Amélie Morin est l'une des deux voix du personnage de Madame Hudson. C’est elle également qui double le personnage de Candy, de Camille dans Bishôjo Senshi Sêrâ Mûn (Sailor Moon), mais également de Lana et de Clarisse dans les nouveaux doublages de Conan, le fils du futur et du Le château de Cagliostro. Serge Lhorca, le professeur Simon Wright dans Kyaputen Fyûchâ (Capitaine Flam), double quant à lui Holmes, Jacques Marin, Grand-pa dans Les Minipouss et le père dans la série Happy Days, incarne le docteur Watson et Gérard Hernandez, second rôle dans le cinéma français et acteur de théâtre de boulevard, devient la voix drôlatique du professeur Moriarty.
La pléiade de rôles secondaires est souvent incarnée par une ou deux acteurs qui jouent simplement sur les intonations de voix pour différencier les personnages. Le résultat n’est pas toujours heureux et il est parfois dommage que certaines voix soient à la limite du ridicule et desservent les personnages.
La musique
Kentarô Haneda signe la musique de la série, dont l’inoubliable générique de début Sora Kara Koboreta Story (que l’on peut traduire par Une histoire tombée du ciel). Ses musiques peuvent être tantôt nostalgiques et douces lorsque le passage est contemplatif, tantôt rythmées et entraînantes, comme dans les scènes de poursuites et d’action. On peut par ailleurs remarquer que, cas rare pour les séries japonaises de l’époque, nous avons la chance d’avoir une vraie adaptation du générique, chantée par Amélie Morin (qui chantera plus tard le générique de Mimi Cracra et des Moomin).