Mis à jour : lundi 12 septembre 2022

Horus, prince du soleil : Analyse

Avec Horus, prince du soleil, Isao Takahata et son équipe ne veulent pas faire un film qui s'adresse aux enfants comme de tradition à la Tôei Dôga. Ils veulent un film différent, qui ait du sens et que la forme serve le fond. Ils ont pour objectif de réaliser le film qu'ils auraient tous aimé voir sur grand écran, allant de pair avec une exigence de qualité formelle. Ainsi, en plus d'une mise en scène soignée, ils cherchent un réalisme au niveau des expressions et des relations entre les personnages, pour prouver au public que l'on peut obtenir des sentiments complexes avec des personnages dessinés et ainsi exprimer des idées plus adultes. Horus, prince du soleil n'a pas été pensé en terme de film d'animation mais de film tout court.

Cependant, au début des années 60, la Tôei Dôga n'a que pour modèle le savoir-faire américain et en particulier celui de Walt Disney et sa recette à base de belles histoires, de bons sentiments et de petits animaux pour séduire le jeune public. La Toêi demande donc que le film se plie à un certain nombre de consignes : la présence d'animaux pour assister les personnages principaux, une histoire classique qui puisse être identifiée par les plus petits et un film de courte durée (80 minutes), toujours pour convenir au jeune public. Horus, prince du soleil est produit dans ce contexte économique et marketing.

Qu'en est-il au final ? Malgré ces réajustements historiques qui doivent être pris en compte et la bonne volonté affichée par Takahata et son équipe, le film ne parvient pas vraiment au niveau de ses (trop ?) grandes ambitions pour l'époque. D'un point de vue technique, Horus, prince du soleil est un film de qualité malgré ses deux séquences, souvent décriées, faites de plans statiques, lors de l'affrontement des villageois contre les loups puis contre les rats. Cette spécificité de coté, l'animation est de qualité et le film rythmé (voir la première séquence d'affrontement entre Horus et les loups ou contre le brochet géant).

Une des ambitions de Takahata est de proposer une mise en scène sans précédent pour un film d'animation. Il y parvient avec brio en mettant à profit nombre de procédés cinématographiques propres aux films en prises de vue réelle. Les plans sont souvent complexes et toujours composés avec soin. Takahata use notamment d'effets de perpectives pour créer l'illusion de la profondeur de champ. Les personnages vont et viennent, rentrent et sortent de l'image et donnent ainsi l'impression d'avoir une vie en dehors de l'écran, ce qui renforcent le réalisme des scènes et permet au spectateur de davantage s'impliquer émotionellement. Les « angles de prise de vue » sont également très variés pour accentuer les tensions et les sentiments des personnages. Enfin, les « mouvements de caméra » complexes (panoramiques, travellings...), finissent de contribuer à rapprocher Horus, prince du soleil d'un véritable film en prise de vue réelle. En ce point, le film de Takahata et de son équipe est une réussite et leurs objectifs sont pleinement atteints.


La séquence d'ouverture est représentative du soin apporté par Isao Takahata à la mise en scène.
Par exemple, la caméra est parfois « débordée » par l'action, renforçant l'impression du spectateur d'être au cœur de la scène.

Mais dans sa lutte contre les obstacles financiers et techniques et la difficile adéquation avec ses idées avant-gardistes, le film a gardé les traces de nombreuses ruptures. Il a subi des remontages intempestifs et autres raccourcis involontaires. L'histoire s'en ressent et est un peu en demi-teinte. Malgré sa volonté de conquérir un public adulte, Horus, prince du soleil reste tout de même un film manichéen, tournant autour de l'affrontement entre le bien et le mal. Grunwald est l'archétype du méchant, Horus est le noble héros qui s'oppose a lui.

Le ton du film est grave et dépourvu d'humour à l'exception de scènes de festivités et de chansons. Les personnages sont un peu confus et mal définis alors qu'il y avait une volonté de proposer des protagonistes à la psychologie complexe. Ainsi, entre autres exemples, Horus ne s'inquiète pas lorsqu'Hilda lui révèle, à leur rencontre, que Grunwald l'a ensorcelé ou lorsqu'elle est ensuite repoussée par l'épée du soleil... Un peu étrange également ce personnage de Grunwald : sorcier mégalo, maître du monde selon lui, qui nourrit des plans de conquêtes grandioses mais qui s'acharne sur une humanité réduite à un simple petit village dans le film. Il fait le mal, sème la discorde entre les hommes mais n'a pas de motivations précises à part détruire. C'est le mal réduit à son expression la plus simple. L'épée du soleil elle-même n'a pas vraiment d'origine du début jusqu'à la fin du récit. C'est juste le symbole de l'unité des villageois qui se regroupent pour la forger et vaincre Grunwald en fin de film.

Si Takahata ne réussit pas complètement à livrer un film adulte, il parvient quand même, à plusieurs reprises, à s'affranchir des éléments du film pour enfants malgré les conditions imposées par la Tôei. Koro est donc bien le faire valoir d'Horus et un des rares éléments légers du film destinés à retenir l'attention des enfants. Bien présent au début puis à la fin, il n'a qu'une présence anecdotique dans tout le reste du film et disparaît même pendant un long moment. Takahata surmonte également le handicap de la présence de la chouette Toto et de l'écureuil Chiro en les détournant de leur rôle premier pour les transformer en élément narratif supplémentaire. Pour montrer ce qu'Hilda ressent intérieurement, Takahata utilise ces deux animaux qui représentent les deux aspects contradictoires de la psychologie et des sentiments en conflit dans le cœur de la jeune fille. Attribuer un animal aux protagonistes était une tradition à la Tôei Dôga. Tout en la poursuivant, il a donné à ces animaux un sens symbolique.

Hilda est sans doute le personnage le plus intéressant du film. Même si elle apparaît seulement au deuxième tiers du récit, son rôle devient prédominant par la suite et n'est pas loin d'éclipser celui d'Horus. C'est dans ce personnage qu'il faut chercher la dimension adulte du film. Et pour cela, il faut se remettre dans le contexte politique du Japon de la fin des années 60, pendant lequel était produit le film. Comme Takahata le confiera plus tard, l'équipe qui conçut Horus, prince du soleil était profondément affectée par les évènements du Vietnam. Les américains se servaient des eaux japonaises comme rampes de lancement pour leurs offensives et le territoire japonais abritait de nombreuses bases américaines. Les Japonais craignaient de voir leur pays entraîné dans ce conflit du fait de leur statut d'allié des Etats-Unis. La plupart des Japonais étaient résolument opposés à cette « participation » qui leur était imposée et beaucoup souhaitaient que les américains perdent le conflit. Ces évènements influencèrent le ton et les propos du film et notamment le personnage d'Hilda qui fut conçu comme « une figure de dessin animé à la psychologie complexe », une première sans précédent dans le cinéma d'animation japonais. Hilda devait être un personnage complexe, changeant, conscient de ses contradictions et qui en souffre. Tiraillée entre le démon et la raison, Hilda symbolise alors un Japon en peine pour assumer ses contradictions.

« Il nous est arrivé au moment de travailler sur ce personnage (Hilda) d'avoir en tête l'idée ce que pouvait ressentir les soldats américains envoyés au Viêtnam», explique Takahata. « Même si l'on présentait leur intervention comme une cause juste, force était de constater qu'ils n'étaient pas bien accueillis. Ils pouvaient ainsi avoir l'impression d'avoir été envoyés dans un guêpier et en même temps ils devaient poursuivre le combat. Le personnage d'Hilda subit les mêmes tensions. »
Bien sûr, le parallèle entre les Etats-Unis et le Japon n'est pas si explicite à l'image mais il était évident pour les créateurs du film à l'époque.

Certes Horus, prince du soleil est grave, dépourvu d'humour et ne s'adresse pas aux enfants. Malgré une grande rigueur et une ambition nouvelle dans la mise en scène, qui témoigne des bonnes intentions de Takahata et son équipe, le film souffre donc parfois de lacunes techniques et scénaristiques liées à son âge et à un environnement de production chaotique. Mais pour la première fois dans un film d'animation japonais, la morale du film est différente, tout comme son histoire et son lieu d'action, auparavant toujours tirés de vieilles légendes chinoises ou japonaises. Mais surtout, Horus, prince du soleil propose des personnages beaucoup plus profonds, confrontés à des épreuves et animés par des sentiments très forts. Cette dimension psychologique, mais parfois aussi onirique que l'on trouve dans le film, n'existait pas dans le long métrage grand public au Japon et va ouvrir la porte à des films à la forme soignée et des personnages plus complexes. Hilda ouvre ainsi la voie à toute une série de personnages caractéristiques de l'animation japonaise, oscillant entre le bien et le mal mais aussi à des personnages féminins modernes, anticipant sur les héroïnes fortes, chères à Hayao Miyazaki.