Nausicaä de la Vallée du Vent : Création du manga
Origines
Tout a commencé au début des années 80, alors que le magazine Animage est venu rencontrer Hayao Miyazaki pour réaliser un article sur lui. Le jeune réalisateur leur a montré plusieurs séries de dessins, pour la plupart des projets de films. Toshio Suzuki, un des fondateurs d'Animage (et futur président du studio Ghibli) est immédiatement séduit. Il propose à Miyazaki de soutenir ces projets auprès des studios d’animation.
Un premier projet d'animation est présenté à l'éditeur Tokuma Shoten, en juillet 1981. Ce projet, qui présentait une grande similitude avec le futur Château dans le ciel -il s'agit d'un château flottant dans les airs, dirigé par des robots-, est malheureusement rejeté. Miyazaki et Animage reviennent rapidement à la charge avec Rolf, qui met en scène Yala, reine de la Vallée du Vent, et les vers des sables. Mais de trop nombreux points communs avec Dune de Franck Herbert écarte le projet une nouvelle fois. Miyazaki n'aura pas plus de succès avec un autre projet intitulé Totoro...
Le personnage de Yala est déjà proche de la Nausicaä définitive.
Comme il n'y avait aucune prospection pour des longs métrages animés dans le proche futur, Animage a proposé à Miyazaki, alors sans travail, de créer une bande dessinée pour eux. Le réalisateur accepta en posant les conditions suivantes : il avait une totale liberté sur le choix de l'histoire, il pouvait suspendre ou arrêter le manga dès qu'il retrouvait du travail dans l'animation et le manga ne pourrait pas servir de base à un projet d'animation.
Influences
Les origines du personnage de Nausicaä et de son monde remontent loin. Enfant, Hayao Miyazaki a lu le conte traditionnel japonais Mushi Mezuru Himegimi (La princesse qui aime les insectes), l'histoire d'une princesse médiévale fascinée par toutes les créatures vivantes et les insectes en particulier. Des années plus tard, en parcourant le dictionnaire de la mythologie grecque de Bernard Evslin, il découvre la princesse phénicienne Nausicaä, qui a secouru Ulysse dans l'épopée d'Homère. L'image de cette jeune fille de nature douce, joyeuse et sensible a fusionné avec celle de l'héroïne japonaise pour devenir la princesse du petit royaume rural de Miyazaki.
L'écosystème, que cette dernière aime et étudie avec tant d'ardeur, est basé sur des écrits historiques et scientifiques que le jeune Miyazaki a creusés au fil des années. Il en est de même pour le royaume de la Vallée du Vent et les pressions politiques et sociales qu'il subit, inspirés d'ouvrages historiques, politiques et sociologiques. Parmi les écrits ayant influencé la création de Nausicaä de la Vallée du Vent, on citera :
- Les origines de la culture des plantes et de l'agriculture de Sasuke Nakao
- Le monde de Jômon d'Eiichi Fujimori, sur l'ère Jômon (approximativement de 10 000 à 300 avant notre ère)
- Opération Barbarossa de Paul Carell, sur la guerre germano-soviétique
- Les plantes et les hommes d'Akira Miyawaki, pionnier du mouvement vert dans les villes
- La guerre des Gaules de Jules César
- Spartacus de Howard Fast, qui a engendré le dégoût qu'a Miyazaki pour les superpuissances militaires
Ainsi, Nausicaä de la Vallée du Vent est devenue encore plus impliquée dans la défense de la paix et de l'environnement que ses inspirations grecques et japonaises. Et le monde l'entourant est devenu de plus en plus complexe.
Nausicaä est une œuvre-univers teintée d'écologisme. Deux romans connus dans ce genre littéraire spécifique, Hothouse (Le monde vert) de Brian Aldiss (1962) et Dune de Franck Herbert (1965) ont apparemment été lus par Miyazaki, et tous deux ont eu une influence non négligeable sur Nausicaä.
Si on prend le livre d'Aldiss, Nausicaä et Hothouse ont deux histoires très différentes, mais les parallèles sont clairs. Tous deux postulent une terre future envahie par des forêts géantes, remplies de formes de vies exotiques à côté desquelles l'humanité semble anachronique. Dans les deux œuvres il est question de révélations faites aux humains via des créatures terrestres intelligentes (le Morel dans Hothouse et les Ômu dans Nausicaä). Conformément à la vision du monde qu'a Miyazaki, le contenu de ces révélations est moins important que les pouvoirs qu'elles confèrent. Le Morel dans Hothouse est pernicieux mais ses enseignements et sa philosophie sont fondamentaux quant au statut final de Gren, un héros libre prenant en main sa destinée. L'élévation de Nausicaä n'en est pas moins spectaculaire : sa communion avec l'Ômu la transforme en un mélange d'explorateur-scientifique et de messie spirituel.
C'est là que Nausicaä s'aligne sur Dune, les deux Fantasy présentant un aspect messianique patent (bien que Nausicaä, contrairement à Paul Atréides, ne reconnaîtra jamais son statut d'icône). On fera aussi le rapprochement entre le vers des sables de Hebert et l'insecte géant qu'est l'Ômu, tous deux ayant une présence aussi monstrueuse qu'importante dans le récit. Ce point a été confirmé par Miyazaki qui a en partie emprunté le nom Ômu à Sando Wâmu (ou Sando Uomu) qui est le nom japonais pour des Sandworm de Dune.
Ecriture du manga
Le numéro d'Animage de décembre 1981 annonce à ses lecteurs que dans deux mois sera publié sur leur pages le premier chapitre de la série manga intitulée Nausicaä de la Vallée du Vent. Cette annonce (ci-dessous) inclut ce qui est très vraisemblablement la première image de Nausicaä jamais publiée. Notez son pistolet, les motifs à fleurs sur ses habits et les poches à munitions sur le haut des bras, qui ont disparu le temps que la publication commence, sans parler des yeux verts, de l'absence de visière sur le casque et des oreilles courtes de Teto.
Dans le texte de l'annonce, Hayao Miyazaki explique que le premier épisode n'est pas encore terminé et qu'il n'est donc pas possible de dire quelle tournure il va prendre ; mais il a le sentiment qu'Animage s'est embarqué sur une route dangereuse ! Puis Miyazaki avoue qu'il voulait autrefois être mangaka et cette ambition lui ayant causé quelques frustrations, il a cette fois décidé de dessiner une histoire qui lui tenait vraiment à cœur. « L'histoire de Nausicaä, une fille vivant dans une époque chaotique, 1 000 ans après l'effondrement de la grande civilisation industrielle. »
La création de Nausicaä a été à l'origine un travail bouche-trou : « j'ai dessiné le manga parce que j'étais sans emploi en tant qu'animateur, et j'arrêterai de le dessiner quand je trouverai un travail dans l'animation » avait déclaré Miyazaki. Ironie de l'histoire, c'est pour adapter justement Nausicaä en film que le réalisateur fait un premier break. Il continue par la suite à travailler sur son manga de manière intermittente, avec de longues périodes d'interruption correspondant à la réalisation de ses différents long métrages. Une fois, Miyazaki a même retiré plusieurs chapitres d'Animage avant publication, car il n'en était pas satisfait. Le magazine a dû alors insérer à la hâte de brefs synopsis.
Voici comment s'est répartie la publication de Nausicaä de la Vallée du Vent dans le temps. Sur les 13 ans qu'ont duré la conception de l'œuvre, Miyazaki n'y a probablement réellement passé que la moitié.
Miyazaki a plus tard confessé que ce manga était un immense fardeau et l'on se rend alors mieux compte du dévouement qu'il lui a fallu pour travailler dessus entre deux films. D'autant que, imaginant l'histoire au fur et à mesure qu'il dessinait, il se demandait quand et comment il allait conclure : « Pour vous dire la vérité, c'était l'œuvre dont je me demandais toujours, si je pourrais la finir depuis le temps que je l'avais commencée. Je pouvais dire que j'étais capable d'écrire sans penser à la suite, parce que j'avais décidé que je pouvais l'arrêter n'importe quand. »
L'écriture de Nausicaä : une vraie torture si l'on en croit les croquis de Miyazaki se parodiant !
Alors pourquoi Miyazaki n'a-t-il pas abandonné en cours d'histoire ? D'abord par respect pour le magazine Animage mais aussi parce que le manga était différent de la version animée. Il lui donnait la possibilité de développer toutes les idées et les sujets de réflexions qu'il n'avait pas pu placer dans les limites que lui avait imposé le film. Par la suite Miyazaki a avoué que lui-même ne comprenait pas toujours la portée des questions qu'il soulevait.
Pendant les treize années sur lesquelles se sont étalés les 59 chapitres de Nausicaä de la Vallée du Vent, beaucoup d'évènements sont arrivés à l'extérieur du Japon. Certains comme la guerre en Yougoslavie, l'effondrement du bloc soviétique (cf. la chute de l'empire Dork) ou encore la guerre du Golfe ont beaucoup choqué Miyazaki et la teneur du récit s'en est trouvé fortement influencé. L'achèvement du manga correspond également dans la vie de son auteur à un tournant : « J'ai totalement abandonné le marxisme. Mais je n'ai pas eu d'autre solution que de l'abandonner. J'ai décidé que c'était faux, que son matérialisme historique aussi et que je ne devais plus voir les choses ainsi. Je pense que ce changement net dans ma manière de penser est venu de mon écriture sur Nausicaä, plus que par le changement de ma position dans la société. »
Ainsi quand Miyazaki assimilait l'écriture de Nausicaä à un fardeau, ce dernier était peut-être plus une épreuve psychologique qu'une simple charge de travail. Nausicaä, œuvre personnelle tourmentée reflétant la démarche intellectuelle et émotionnelle d'un auteur dont la pensée ne cesse d'évoluer ? « C'est éprouvant de retourner dans le monde de Nausicaä et je ne veux pas y revenir. Même si j'écrivais dans notre monde, effectuer ce travail-là a compliqué mon retour vers la société. »