Mis à jour : lundi 19 février 2024

Hayao Miyazaki : Son cinéma

Hayao Miyazaki est un des réalisateurs d'animation les plus connus mondialement, respecté par les plus grands noms de la profession, comme John Lasseter, réalisateur et directeur artistique des studios Pixar et Disney. En France, ce sont ses films qui vont sortir l'animation japonaise du ghetto culturel dans lequel les critiques l'avaient rangée. De plus, l'ensemble de sa filmographie démontre une continuité étonnante et rare, voire unique dans le milieu de l'animation.

Graphisme et personnages

On reconnaît presque immédiatement le cinéma d'Hayao Miyazaki à son graphisme. En effet, contrairement à son compère Isao Takahata, Miyazaki conçoit le character design de ses personnages. On aboutit alors à une galerie d'héroïnes aux traits étonnamment ressemblants, de Nausicaä à San, en passant par Fio. On retrouve cette même similitude chez les personnages masculins, Pazu devenant le successeur d'Asbel et annonçant Ashitaka. Cette continuité étonnante dans le traitement de ses personnages a parfois valu à Miyazaki des lourdes critiques, stigmatisant un manque d'inspiration. Pourtant, chaque personnage de Miyazaki est unique par sa caractérisation, et l'on oublie un peu facilement d'autres personnages, comme Marco, Tombo, ou Mei ! De plus, le style de Miyazaki évolue bel et bien, même s'il reste fidèle à son univers graphique. Chihiro a ainsi une forme de visage totalement inédite pour une héroïne de Miyazaki. Haku et Hauru n'ont pas l'allure décidée des héros Miyazakiens, mais semblent plutôt évoquer les personnages shôjo aux traits efféminés.

On ne peut que remarquer la préférence d'Hayao Miyazaki envers des héroïnes « femmes-enfants ». Il est fort probable qu'aux yeux du réalisateur, le caractère inhérent à une jeune fille est d'être dotée d'un fort tempérament, d'un courage à toute épreuve et surtout d'une sensibilité pure. Les héroïnes de Miyazaki possèdent encore une capacité d'émerveillement propre à l'enfance et une force d'action présageant l'âge adulte. Evidemment, cela n'empêche pas le réalisateur de choisir parfois des personnages plus jeunes, comme Satsuki, Chihiro et Ponyo, ou plus vieux, comme Sophie transformée en grand-mère percluse de rhumatisme. Mais leur caractère s'avère être au final très proche des héroïnes habituelles du réalisateur.

Les grandes thématiques

La filmographie de d'Hayao Miyazaki est également reconnaissable à ses thématiques récurrentes, car le réalisateur a toujours été fidèle à ses idées. Ainsi, la plupart des personnages de Miyazaki sont des personnages d'exception : des descendants de famille royale (Sheeta dans Le château dans le ciel), des princes/princesses (Nausicaä, Ashitaka, Ponyo), des sorciers (Kiki, Hauru), et même un personnage transformé en cochon (Porco Rosso) ! Bien sûr on retrouve quelques héroïnes plus « banales », comme Chihiro, mais elles participent toutes à une histoire merveilleuse et finissent, par leurs actions, à emporter l'adhésion des autres protagonistes et du spectateur, ce qui est assez éloigné du cinéma plus réaliste et plus distancié d'Isao Takahata.

Le thème de l'environnement est également très présent dans la filmographie de Miyazaki. Qu'il s'agisse de Nausicaä de la Vallée du Vent, Princesse Mononoke, Mon voisin Totoro ou encore Conan, le fils du futur, on retrouve une préoccupation constante du réalisateur sur le rapport entre l'Homme et la Nature. Cependant, Miyazaki ne se pose jamais en moralisateur et ne propose pas de solution miracle pour sauver notre planète, il se contente de dresser un constat, parfois très pessimiste, souvent très émouvant, de cette relation violente entre l'humanité et son environnement. Il y a de l'animisme dans l'écologie de Miyazaki. Pour lui, tout est vivant et les dieux sont partout : esprits de la forêts dans Nausicaä, Totoro et Princesse Mononoke, dieux des poussières dans Totoro et Le voyage de Chihiro, dieux de la rivière dans Chihiro. Cependant, cette thématique n'est pas constante et inévitable, dans Kiki ou même Chihiro, le réalisateur s'intéresse plus à l'intégration de ses héroïnes dans la société qu'à un quelconque message écologique, et dans Le château ambulant, la guerre est une toile de fond à l'histoire d'amour entre Hauru et Sophie.

Le voyage initiatique est un autre thème récurrent chez Miyazaki, même si celui-ci n'aime pas ce terme. Ses héros ou héroïnes sont souvent des nomades ou des déracinés. Ses films, de même que ses mangas, débutent souvent par un exil ou un déménagement (Mon Voisin Totoro). Dans Princesse Mononoke, Ashitaka quitte son village natal parce qu'il victime d'une malédiction. Pour accomplir sa formation de sorcière, Kiki doit vivre un an séparée de sa famille. Exilée de force, Nausicaä parcourt le monde pour prévenir une guerre imminente. Enfin, dans le manga Shuna no Tabi (Le voyage de Shuna), le héros part à la recherche de graines dorées pour nourrir son peuple. Ce thème du voyage initiatique prend également son sens dans Le voyage de Chihiro. Au cours de son périple dans ce monde peuplé de dieux, Chihiro devient bien plus mature, responsable, elle change véritablement de comportement. Dans Le château ambulant, enfin, Sophie doit elle aussi fuir sa douillette maison et se réfugier chez Hauru à cause de la malédiction de la sorcière de la dévastation.

Les scènes récurrentes chez Hayao Miyazaki

Dans l'œuvre d'Hayao Miyazaki, qu'ils soient proches ou lointains, le souvenir d'une apparition, la mémoire du passé donnent toute la profondeur au personnage. Ils resurgissent comme des leitmotiv dans le présent et servent de révélateurs : la silhouette du dieu-cerf, la venue de Totoro, l'enfance de Nausicaä, l'histoire de Marco, le village de Sheeta, la noyade de Chihiro... La beauté des films de Miyazaki vient de cette confusion entre le vécu et le présent. Comme si l'adulte ne se séparait jamais de l'enfant qu'il a été, à commencer par le réalisateur : « Je ne fais jamais un film avec mon cerveau, ni avec mon ventre. Je plonge dans un puits, au fond il y a une bonde que j'ouvre et je descends encore plus profondément dans mes souvenirs et mes émotions d'enfant. »

Un des points forts de chaque film de Miyazaki demeure avant tout les scènes d'envols. On connaît la fascination de Miyazaki pour les airs depuis sa tendre enfance. L'envol constitue un passage (presque) obligé et un moment clé de la narration chez Miyazaki. C'est le moment où le personnage s'évade de tous les carcans qui lui sont imposés, de la pesanteur lourde qui le cloue au sol... Nausicaä à bord de son moehve devient ainsi une guerrière habile, Mei et Satsuki échappent à leur quotidien et à la maladie de leur mère dans les bras de Totoro, Kiki trouve sa raison d'exister en livrant les gens grâce à son balai. Dans Porco Rosso, les airs prennent une dimension allégorique, les nuages se transformant en paradis où les âmes des aviateurs s'envolent. Dans Le voyage de Chihiro, la scène de vol entre Chihiro et Haku cristallise l'émotion du souvenir et la libération, alors que dans Le château ambulant, le vol est d'abord une fuite pour devenir ensuite une confrontation violente débouchant sur la paix et la liberté. Seule San semble désespérément clouée au sol, comme écrasée par le poids terrestre. Cela correspond au ton pessimiste de cette œuvre, où la Nature et l'Homme semblent irréconciliables, celui-ci ne peut s'évader, ne peut rêver, et ne peut donc accéder aux cieux salvateurs. Le vent se lève est un condensé de toutes ses approches à travers la passion de Jirô pour l'aviation : scènes libératrices d'envol, avions imaginaires, ou guerriers, mais aussi folie meurtrière des hommes.

Les correspondances avec l'œuvre d'Isao Takahata

Hayao Miyazaki, de quelques années le cadet d'Isao Takahata, a collaboré sur les œuvres du metteur en scène pendant 12 ans (de Horus, prince du soleil à Anne, la maison aux pignons verts). Même si Takahata refute être le mentor de Miyazaki, les deux amis reconnaissent l'importance de leur collaboration. Ainsi, Miyazaki confirme avoir été fortement influencé par son ainé dans son travail de mise en scène. Mais s'ils ont en commun ce « réalisme filmique », voisin du cinéma en prise de vue réelle, l'un et l'autre s'engage dès la fin des années 70 dans des voies artistiques différentes. Alors que Takahata s'oriente vers des histoires japonaises, basées sur l'étude des personnages (Kié, la petite peste, Gauche le violoncelliste), Miyazaki rêve d'universel, d'aventures et d'évasion (Conan, le fils du futur, Le château de Cagliostro, Nausicaä de la Vallée du Vent).

Une autre différence remarquable entre les deux réalisateurs est la démarche adoptée dans la conception de leurs films : alors que Takahata en véritable intellectuel du cinéma, tente de mettre en œuvre un parti pris théorique sur le dessin animé, le processus créatif de Miyazaki est plus instinctif : c'est à partir de personnages, d'engins, de scènes, que Miyazaki élabore un univers, puis tisse son intrigue. Un fait est particulièrement représentatif de la différence de démarche entre les deux cinéastes : hormis Pompoko, les œuvres de Takahata sont toujours des adaptations d'autres œuvres (contes traditionnels, romans, mangas...). Miyazaki, de son côté, invente le plus souvent ses histoires. Sinon, il adapte les œuvres existantes très librement et se les réapproprie complètement (Kiki, la petite sorcière, Le château ambulant, Le vent se lève). Alors que Takahata étudie le matériau original avec minutie, Miyazaki s'inspire des seuls souvenirs qu'il en a, parfois une simple scène qui l'a particulièrement marqué.

Malgré ses différences, il est intéressant de comparer le parcours des deux réalisateurs au sein du studio Ghibli, tant leurs œuvres semblent se répondre sans cesse. Ainsi, face au joyeux Mon voisin Totoro, véritable ode à l'enfance et à l'insouciance, on retrouve le bouleversant Tombeau des lucioles, où deux orphelins se heurtent à l'horreur de la guerre, de la famine et de la mort. Souvenirs goutte à goutte quant à lui est produit entre Kiki, la petite sorcière et Porco Rosso. Dans ce film de Takahata, Taeko cherche à trouver sa place dans la société, tout comme la jeune Kiki. De même, la jeune femme se souvient sans cesse de son passé, comme Marco, hanté par ses souvenirs. Mais si les thématiques semblent se répondre, le traitement diffère de façon évidente. Comme pour répondre au réalisme de Takahata, Miyazaki choisit des univers fantastiques, avec comme cadre une petite ville inspirée de la Suède et de l'Europe ou l'Adriatique dans les années 30, là où son compère opte pour un cadre strictement japonais. Pompoko et Princesse Mononoke évoquent tous deux la confrontation tragique entre l'Homme et la Nature. Mais si Takahata choisit le cadre contemporain nippon, Miyazaki représente un Japon médiéval idéalisé et fantasmé. On ne peut que constater la différence de traitement entre le style épuré et dépouillé de Mes voisins les Yamada et l'opulence foisonnante et baroque de l'univers du Voyage de Chihiro. Le message récurent de Mes voisins les Yamada semble être « c'est la vie » ou « tout finira par s'arranger ». Le propos de Miyazaki est tout autre. Chihiro nous apprend en effet que, dans la vie, il faut s'accrocher, ne pas perdre courage. Les deux films sont donc radicalement différents et confirment l'éloignement conceptuel des deux réalisateurs.

Un des points communs aux deux réalisateurs est sans conteste celle de la perte des racines. Cependant, là encore, le traitement diffère entre les deux filmographies. L'œuvre de Takahata est souvent empreinte de nostalgie, le réalisateur portant un regard tendre sur ce passé révolu et jugeant sévèrement le Japon actuel, oubliant peu à peu ses racines et donc sa richesse culturelle. Miyazaki, lui, semble vouloir éviter ce ton pessimiste. Ainsi, Le voyage de Chihiro semble ainsi répondre à Pompoko. En effet, les deux œuvres ont des thèmes communs : les croyances et les divinités japonaises. Or dans Pompoko, les tanukis (incarnant alors les croyances japonaises) sont victimes des humains qui s'approprient peu à peu leur territoire. La situation semble inversée dans Le voyage de Chihiro où l'héroïne est livrée à elle-même dans le monde des dieux. Miyazaki nous montre ainsi que les croyances et les divinités n'ont pas disparu, elles sont bien vivantes et sont bien enfouies en nous, à la manière du souvenir de Haku dans le cœur de Chihiro. Mais le réalisateur semble aussi rejoindre le cynisme de son collègue puisqu'il représente les dieux malmenés par les hommes et ils doivent se reposer et se soigner dans les eaux purificatrices d'Aburaya, l'établissement des bains.

C'est sur son dernier long métrage, Le vent se lève, que Miyazaki, en abandonnant l'imaginaire, se rapproche du cinéma d'Isao Takahata dans le réalisme de la mise en scène, mais également l'étude psychologique et sociologique des personnages.

Un maître du fantastique

Hayao Miyazaki peut être considéré comme un maître du fantastique, en littérature, comme dans le cinéma. En effet, il réussit à créer à chaque fois des mondes cohérents où chaque détail contribue à transformer une simple histoire en véritable univers. Les mondes de Miyazaki, de Nausicaä au Château ambulant, sont amplement comparables à ceux de Disney dans des œuvres phares comme Fantasia ou Blanche-Neige, ou à ceux de Pixar dans Le monde de Némo ou Monstres et Compagnie. Le spectateur croit en chaque scène parce que Miyazaki réussit à faire entrer le spectateur dans un monde obéissant à des règles cohérentes, malgré des codes défiant toute logique.

Ainsi, dans Mon voisin Totoro, il amène petit à petit le merveilleux, permettant au spectateur d'adhérer ensuite pleinement à la présence d'esprits de la forêt, à des chats-bus glissant sur des fils électriques, à des noiraudes fuyant les rires d'enfants, dans un Japon des années 50. Dans Le château dans le ciel, les premières minutes où Sheeta tombe du ciel est un véritable moment de féerie éblouissant le spectateur et le préparant doucement au final extraordinaire sur Laputa. Dans Princesse Mononoke, on est plongé violemment dès le début dans ce monde où l'homme et les esprits de la nature s'affrontent sans merci, annonçant le dénouement tragique du film. Quant à Porco Rosso, jamais Miyazaki ne nous donne de véritables explications quant à la physionomie de Marco, comme si cette transformation porcine était une évidence même, acceptée par tous les autres personnages. Cela confère au personnage une poésie et une symbolique certaine, sans que le film ne sombre dans l'explicatif lourd. Le spectateur croit alors à ce monde très réaliste de pilotes de l'Adriatique, mais également à cette identité étrange de Marco. Dans chacun des films, chaque détail est un pur délice visuel, comme l'apparition des facétieux kodamas ou la multitude protéiforme de dieux dans Le voyage de Chihiro. Mais le spectateur les intègre sans s'y appesantir, car le monde de Miyazaki suit sa propre logique, et donc on n'éprouve nul étonnement à voir Jiji parler, Hauru se couvrir de bile à la moindre contrariété, où Ponyo et Sosuke naviguer au-dessus de créatures du Dévoniens, ce sont des faits que le spectateur accepte sans réfléchir.

On peut même comparer le manga Nausicaä de la Vallée du Vent à l'œuvre de Tolkien, tant le monde de la Princesse aux insectes est un univers complexe, riche, foisonnant. Mais contrairement à l'auteur du Seigneur des Anneaux, le Mal et le Bien ne s'affrontent jamais en deux clans bien définis. Chez Miyazaki, détruire le mal complètement c'est détruire le monde. Le mal fait partie de notre monde, il est même en chacun de nous. Le nier est absurde et l'éradiquer est impossible. L'important est d'apprendre à vivre dans ce monde et contribuer à l'améliorer selon les valeurs auxquelles on croit. La coexistence du bien et du mal est un thème récurrent chez Miyazaki, mais dont la teneur a évolué au cours du temps. Alors que ses premiers héros étaient des êtres exceptionnels qui par leur pureté et leur courage parvenaient à changer le monde, le message dans ses dernières œuvres est plus résigné mais toujours positif. Au final, le seul personnage véritablement négatif est Muska, dans Le château dans le ciel. La coexistence du Bien et du Mal est une des particularités de l'univers de Miyazaki, cela le différencie nettement des autres œuvres liées au monde de la Fantasy.

Résumer la carrière d'Hayao Miyazaki en quelques lignes est évidemment un pari difficile à réaliser, tant le réalisateur a su créer de véritables univers visuels, à la fois riches et complexes. Cependant, on peut constater que Miyazaki a toujours été fidèle à une certaine conception du cinéma, avec un graphisme immédiatement reconnaissable, des thématiques et des scènes récurrentes, tout en sachant renouveler à chaque fois son univers. Le cinéma d'animation de Miyazaki se singularise aussi par cette rencontre rare entre cet imaginaire foisonnant, cette continuité artistique et le réalisme filmique apporté par la mise en scène. Au final, sa filmographie est d'une cohérence, d'une homogénéité et d'une originalité rares dans l'animation.


Source : Hayao Miyazaki, cinéaste en animation - Poésie de l'insolite de Stéphane Le Roux