Jeudi 22 janvier 2004

Quand on arrive sur le Champs de Mars, il est 09h30 et le public n'a pas encore le droit de pénétrer dans les bulles. Du coup, avec le badge pro on en profite pour sillonner les allées sans personne, c'est agréable. Surtout quand on a connu les mêmes lieux, emportés par la foule qui traîne nous entraîne, écrasés l'un contre l'autre... Pas de doute, Edith a souvent dû arpenter le festival d'Angoulême pour le chanter si bien.

Mourier ou l'attente en milieu agité

Quand il est presque 10h00, nous arrivons dans la bulle sud direction Soleil pour voir Jean-Louis Mourier. Il y a déjà 6 ou 7 sacs posés alors que seuls les professionnels ont le droit de rentrer. Je ne savais pas que les sacs aussi étaient des amoureux de bd ?! D'ailleurs, je ne savais même pas qu'un sac ça sait lire, alors... Quoi qu'il en soit, je me pose dans la file et Guilhem poursuit sa balade au pays du 9ème art. Pour être poli, j'essaie d'engager la conversation avec les sacs à dos et les valises mais je n'obtiens aucune réponse...
10h00 est passée et les festivaliers ont maintenant investi les lieux. Autour du stand Soleil, les gens ne sont pas contents : « c'est dégeulasse » se plaint un festivalier, « j'arrive pour Tarquin et il y a déjà dix professionnels qui sont dans la file !! » Abuser de son passe-droit c'est vrai que c'est pas très classe mais je me surprends aussi à me dire que je suis peut-être con, j'aurais sûrement dû en profiter. Mais non, en fait je suis intègre. Ou bien je suis con. Ou alors je suis intègre. Enfin, intègre ou con (ou les deux), pendant que je suis plongé dans mes pensées, la queue Tarquin a grossi et a doublé de volume. Elle est maintenant gorgée, prête à éclater (sans mauvaise interprétation SVP). C'est une mini émeute qui se déclenche et je me dis qu'ils sont fous.
Le temps passe, Guilhem revient fréquemment me voir car je m'ennuie un peu. Mais bon, j'ai vraiment envie que Mourier me fasse un Totoro alors je compte mes poils sur les doigts pour que ça passe plus vite. Quand je lève la tête, les sacs et les valises devant moi ont retrouvé leurs propriétaires et je comprends : les « professionnels » de la file Tarquin, une fois leur dessin fait, rejoignent ma file pour attendre Mourier. Je me dis que c'est pas glop et pas poli mais en les entendant parler entre eux, je m'abstiens de tout commentaire. Ben oui, je comprends très vite que ce sont de gros cons. En les écoutant, je saisis que ces messieurs avec un fort accent belge sont des arpenteurs de festivals. Ils se déplacent pour des auteurs « cotés », des « gros », comme ils disent, et ils énumèrent leurs derniers trophées respectifs. C'est ce genre de type qui garnit ensuite les sites comme Ebay, d'albums bds dédicacés, vendus à des prix écœurants. Extension du domaine de la bêtise... Je me dis qu'il y a une thèse à écrire sur ces gens-là lorsque la marmotte arrive avec Julia, Cyril et Olivier.
Ils sont venus passer la journée à Angoulême. Olivier est mon ami vendeur de bd chez Virgin qui ne lit plus de bd ; Julia, c'est ma bonite à moi, récemment convertie à la bande dessinée ; quant à Cyril, c'est un collègue de bureau à elle, passionné de supers héros, il rêve sûrement de rencontrer Peter Parker. Ils vont tous manger ensemble mais moi j'attends toujours M. Mourier.
Il finit d'ailleurs par arriver avec sa bonne tête de troll débonnaire. Très vite, je suis frappé de voir que certains des blaireaux devant moi ne lui parlent même pas et regardent ailleurs pendant leur dédicace. C'est enrichissant comme rencontre ça, tiens... De toute façon, je ne m'insurge pas plus que ça parce que sur les écrans du stand, passe un florilège des sketchs des humoristes Canal +. Même au bout de 10 fois, certains me font toujours rire et sur le « Toniglandyle » de Chabat, c'est enfin mon tour.
Je lui demande en lui montrant ma chemise pleine d'illustrations collées, s'il connaît Totoro.
- Oui.
Là, je lui explique ma démarche de mettre en scène cette bestiole dans son propre univers à lui. Il cherche un peu puis se lance.
Le truc, c'est que je suis tellement intrigué par son dessin qui prend forme, que moi non plus je ne lui dis pas grand-chose. Crotte de bique, serais-je un blaireau aussi ?!
- Voilà.
- La vache, c'est un vrai carnage !!!
- Meuh non, on dit « le troll, c'est un vrai carnage ». Faut pas déconner, hein, faut bien que ça serve les ptites dents pointues...
En tous les cas, quand on voit le résultat, on se dit que Mourier a vraiment compris ce que je voulais. Il ne m'a pas fait juste un dessin de plus de totoro, il l'a vraiment incorporé dans l'univers de ses bds.

Claude Guth fera la couleur deux jours plus tard. Sinon, c'est mignon un anus de totoro non ?

Une chose est sûre : avec les trolls, il ne doit pas en rester beaucoup de totoros sur le monde de Troy. Un génocide dont on ne parle pas assez dans Lanfeust magazine...

Bianco ou le beau gosse pasticheur

Julia revient et elle m'accompagne direction Guillaume Bianco, un autre auteur Soleil. Il y a quelques mois, j'avais acheté un album de Dutto et lui chez un bouquiniste, parce qu'il y avait une planche de gag avec les noireaudes :


© Soleil et Dutto

Même si le gag est de son comparse, je prends le pari que Bianco est un amateur de Miyazaki. Je lui demande donc un totoro et ça le fait sourire. Il m'explique que plus jeune, il avait commis avec un copain, une parodie nommée « Bitoro ». Une dérive à tendance pédophile qui n'avait fait rire qu'eux. C'est absolument ignoble et pourtant sur le coup, ça me fait marrer. Ben oui, il y a un tel consensus sur Mon voisin Totoro que personne ne peut envisager de détourner cette œuvre merveilleuse. Certes, rire d'un sujet aussi grave, c'est pas vraiment ma tasse de thé, mais je me surprends à me remémorer certains passages du film où Totoro regarde Mei et Satsuki avec des yeux un peu chelou, il faut bien le dire...
Pendant qu'on discute, Barbara Canépa vient montrer à Bianco un prototype de statuette de la papesse Ludovique de Sky Doll. Elle est comme une gosse toute heureuse de son nouveau jouet. J'explique à Julia que c'est la compagne d'Alessandro Barbucci, le papa de mon premier totoro dédicacé. C'est vrai que la statue est super jolie, mais Barbara aussi car son enthousiasme jubilatoire la fait rayonner.
En voyant que Bianco me fait un totoro, elle est très amusée, alors je sors de ma chemise celui de Barbucci et je lui montre.
- Oh ?!!! Dové ?!
- Paris.
- Tu veux pas lui mettre en couleur? lui demande Guillaume Bianco
- (petite moue dubitative) Hum... Non !
Et elle s'en va guillerette, montrer sa statuette à un autre Soleil boy.
Bianco termine péniblement son dessin et Julia et moi lui disons au revoir.


Admirez le regard brillant d'intelligence du chien Klébert, tiré de la bd Will de Bianco, chez Soleil

Il est près de 15h30 et je n'ai toujours rien dans le ventre mais malgré les gargouillis suppliants, je continue, je me rattraperai le soir :-) . Direction la bulle nord où je sais pertinemment quelles sont les personnes que je veux voir. Deux femmes, deux premiers albums.

Fanny Montgermont, maman de l'ange

Sur le stand Paquet, je rencontre Fanny Montgermont pour son magnifique Elle. Je lui demande un totoro avec Michelle son ange, et elle me répond que c'est sans problème, « c'est facile à dessiner un totoro ! » Je lui dis tout le bien que je pense de son album, de son graphisme, de ses couleurs... Elle me regarde droit dans les yeux et se contente d'un merci laconique. L'art d'aller à l'essentiel. Je lui pose quelques questions sur le prix « Décoincer la bulle » qui récompense le meilleur premier album et pour lequel elle est en course, mais elle se contente de me répondre brièvement. Je finis donc par observer la naissance d'un ange, si bel ange, en silence...


Certains reconnaîtront peut-être une illustration pour les calendriers Ghibli

Lorsque nous quittons le stand Paquet, Julia et moi nous nous séparons. Elle a en effet sa propre quête à accomplir car munie de son coffret Donjon, elle espère rencontrer Sfar, Trondheim ou Blain quelque part dans la bulle. Je passe devant Cyril qui, muni de la foi et d'un canson A4, espère une dédicace de Jim Lee sur le stand Sémic. Je me dis qu'il a autant de chance d'avoir son dessin que moi d'être cascadeur dans un film de Max Pécas, mais je lui souhaite quand même bon courage.
Au moment où j'arrive sur le stand Carabas, Guilhem la marmotte est en train de se faire dédicacer une bd que je ne connais pas. C'est amusant, parce que si l'on considère que des milliers de personnes sont probablement en train d'arpenter le festival, on pourrait vraisemblablement s'attendre à ce qu'un chat ne retrouve pas ses petits dans ce joyeux bordel, et pourtant... Et pourtant, je perds et retrouve mes amis sans difficulté et sans jamais m'inquiéter. J'ai raison de ne pas avoir de portable, la providence fait aussi bien et je n'ai pas besoin de forfait.

Vanyda, tout pareil que moi mais en fille

Elle vient juste d'arriver et n'a pas encore foule devant elle. Dans quelques années, quand Vanyda sera considérée comme une grande incontournable du 9ème art, ma phrase précédente sera collector. En attendant, elle termine pour un monsieur, le dessin de Bernadette, l'une des deux héroïnes de L'année du dragon. Ca me laisse le temps de l'observer un peu et de m'apercevoir qu'elle-même ressemble beaucoup à Kim, l'autre personnage féminin de la bd. On se « connaît » virtuellement pour avoir échangé quelques mails courant janvier et il faut que je me fasse connaître mais je ne sais pas trop comment...
Quand vient mon tour, je décide de lui montrer ma chemise totoro en lui demandant si ça évoque quelque chose pour elle. Elle me situe, je suis le gars qui veut offrir un album dédicacé à son frère et qui pour lui, voudrait un totoro. On commence par l'album dont je veux faire cadeau et j'explique à Vanyda que Franck, le protagoniste de la bd, est le portrait craché de mon frèrot. Physiquement déjà, il y a beaucoup de ça mais le reste est pas mal non plus :
Tous deux éducateurs d'enfants en centre aéré, tous deux passionnés de dessin, tous deux en peine sentimentale, tous deux un peu rêveurs. Je suis avide de savoir si en lisant L'année du dragon, il va se reconnaître ne serait-ce qu'un peu. Elle parait amusée et espère que la bd lui plaira.
J'en profite pour lui signifier l'immense coup de foudre que j'ai eu pour son travail mais j'ai peine à exprimer mon amour avec des mots. Déjà, en écrivant quelques jours plus tôt la notice critique de sa bande dessinée pour La Revue des Livres Pour Enfants, j'avais éprouvé les mêmes difficultés. Pas toujours facile de décortiquer les raisons de nos sentiments. Je tente quand même et puis en vrac, je relève les références disséminées dans son album qui me touchent :
- Les héros au cinéma devant Princesse Mononoké
- Une peluche de Hobbes dans un coin de case
- Un poster du Phare, de Yann Tiersen...
J'ai beau énumérer, « quoi que je fasse, c'est le même cercle qui ne conduit nulle part » : j'aime cet album, c'est tout et il n'y a rien à ajouter.
Elle m'explique qu'elle s'est beaucoup inspirée de la chambre de sa sœur pour l'histoire du poster, que Hobbes est un Tigrou qui a mué, et que Princesse Mononoké est sorti en l'an 2000, l'année du dragon selon l'astrologie chinoise et que comme c'est cette année là que se déroule l'histoire...Pendant qu'on discute, elle termine la dédicace pour mon frère qui représente Franck, son avatar de papier : ) puis commence la mienne (ce sera Kim avec la grosse bestiole). Elle me dit que cet album fait partie d'une série prévue en trois volumes, et qu'elle a vu le jour dans l'esprit de François Duprat lorsqu'il lui a piqué ses bouquins d'astrologie.
Tout à coup, ça fait tilt ! Je me souviens que si l'on excepte Le combat ordinaire de Manu Larcenet, et La nuit du chat de Franck Pé que j'ai découvert tardivement, mon dernier coup de cœur bd était déjà pour une bd de François Duprat : Mon cousin dans la mort. Déjà à Paris-bd, je lui avais fais une vraie déclaration d'amour. Note pour plus tard : penser à aller lui renouveler ces sentiments.
La conversation avec Vanyda dérive sur des sujets divers que j'affectionne : l'œuvre de Ghibli, Saint Seiya, les samouraïs de l'éternel que je n'ai pas vu depuis mes 12 ans :
- Je les ai tous en DivX
- Argh...
Captain Tsubasa alias Olive et Tom :
- J'ai commencé le foot quand j'étais petite à cause de ce dessin animé.
- Moi aussi, mais y a un truc qui m'étonne. D'habitude les garçons faisaient du foot à cause d'Olive et Tom et les filles du volley à cause de Jeanne et Serge...
« Ouaip, mais moi à la campagne, j'étais un vrai garçon manqué », me rétorque ce joli brin de fille. Hé bien... C'est si sympa de parler avec elle que j'en oublierai presque que je suis timide et gauche moi. Mais mon dessin est fini (elle a même rajouté un chibi totoro à côté de Kim) ! Ainsi, je vais prendre congé d'elle mais avant, elle jette un coup d'œil sur la chemise qui contient mes dédicaces. Elle est surprise de voir qu'il y en a autant et me conseille de les mettre toutes d'un coup sur Buta-connection. Je lui explique que je préfère prendre mon temps pour décrire la rencontre avec l'auteur de chaque dessin. C'est en tout cas ma démarche...
Je prends finalement congé de Vanyda en la prévenant de ma certaine visite le lendemain. Dès que je suis un peu éloigné, je ressors rapidement l'album et me régale avec le dessin :


Le dragon et le totoro à droite seront rajoutés en fin de journée par François Duprat. Joli non ?

Je retrouve la marmotte et nous décidons de revenir dans la bulle sud direction Nicolas poupon et François Duprat au stand « Le cycliste / Petit à petit ».

Poupon et les poissons rouges

Quatre albums de Poupon, et que ça saute ! Guilhem et moi souhaitons compléter notre collection du Fonds du bocal et en outre en offrir un à Sarah, la petite fille de mamie Girod. C'est qu'on est des gentils garçons nous, polis et tout hein !
Nicolas nous réserve une excellente surprise, il va embellir nos albums avec une dédicace conceptuelle des plus intéressantes. Des dessins qui, mis bout à bout, forment une histoire :

 

 

 

Sympa non ? En tous les cas, j'en profite pour faire une parenthèse à propos de cet auteur et clamer qu'il est d'une gentillesse et d'un humour rares. Chaque fois que nous le rencontrons, il se montre toujours aussi disponible et chaleureux, et comme ses albums sont hilarants, ben, n'hésitez pas à aller le voir en dédicace. L'essayer c'est l'adopter ce garçon : )

Nous saluons le maître des poissons rouges et retrouvons les 3 autres larrons. Julia a fait du charme à Sfar pour se faire dédicacer un Donjon sur le stand de l'Association et Olivier est tout content parce que David B. lui a fait un crobar. De son côté, Cyril qui cache sa joie a obtenu un Spiderman d'un auteur comics que je ne connais pas. Tout le monde est satisfait de sa journée et moi aussi, mais je tiens à la terminer par François Duprat.

François Duprat et les maths

Quand je pense à son nom de famille, je me dis qu'on avait toutes les chances de partir du mauvais pied car c'est le nom de la prof de math qui me persécutait au lycée. La femme qui m'a appris la relativité. Je veux dire par là que grâce à elle, j'ai appris à relativiser la cruauté de Cruella, la férocité d'Attila ou le machiavélisme de Machiavel. A côté d'elle, tous passeraient pour d'inoffensives noireaudes. Duprat...Brrrrrrrr... C'est pas ta maman au moins François ?
Bref me voici devant ce fabuleux raconteur d'histoire, pour qu'il me complète les deux dessins de Vanyda. Contrairement à la première fois où je l'ai rencontré, il utilise l'aquarelle pour le dessin.
Notre rencontre est celle de deux timides mais on parvient quand même à discuter un peu. J'apprends que c'est lui qui dessine les phases où le héros de L'Année du dragon fantasme, phases où le graphisme se fait plus caricatural. Il m'annonce aussi que Mon cousin dans la mort va ressortir bientôt en couleur et m'explique comment Vanyda et lui se sont connus. C'est agréable comme moment.
En partant, je suis convaincu que ce type est quelqu'un de bien et ça me fait plaisir parce que c'est super d'apprécier l'œuvre de quelqu'un, et de savoir qu'il est dans la vie, tel qu'on se l'imagine.

La journée s'achève, et nous partons tous finir la soirée au restaurant. Quelque peu perturbé par la journée, je signe des autographes à mes comparses sur la nappe en papier et je regarde sur l'étiquette de ma bière si c'est une première édition.
Ca rend un peu fou Angoulême...