Totoro dédicaces : mars 2004
Boulet

L'auteur :

L'Alsace ne produit pas que des saucisses et de la choucroute, elle nous fait parfois cadeau de « gentils dessinateurs ». Le « gentil dessinateur » qui nous intéresse ici se nomme Gilles Roussel. Depuis sa plus tendre enfance, le petit Gilles a trois passions (à ne pas confondre avec son frère Kader qui lui, a trois maisons) : le dessin, le dessin et le dessin. Ses parents tenteront bien de le remettre dans le droit chemin en l'inscrivant à l'Ecole Normale Supérieure des Mangeurs de Bretzel, mais il préfère développer ses talents graphiques aux Arts Décoratifs de Strasbourg. La providence se chargera du reste. En effet, en 1592, notre gentil dessinateur participe à un concours bd dans un festival et le remporte haut la main (peau de lapin !). Glénat le remarque ainsi et l'engage pour participer au magazine Tchô !. Erreur fatale... Tel un morpion nourri au Tabasco, Gilles s'accroche avec pugnacité à sa place au sein de la rédaction. Il dessine, dessine et dessine encore et réalise Raghnarok, La rubrique scientifique et Miya (Zaki ?). Quand il souhaite faire une pause, il écrit le scénario des Womoks ou créé des rubriques et des jeux pour le mag.
Et après ? Bin, à nouveau il dessine, dessine et dessine encore...

Son blog : http://www.bouletcorp.com/

Skilafé :

  • Raghnarok, 3 vol. aux éd. Glénat, 2001et 2003
  • La rubrique scientifique, 2 vol. aux éd. Glénat, 2002 et 2004
  • Womoks, dessin de Reno, 2 vol. aux éd. Glénat, 2001 et 2002
  • Travaux divers pour Tchô !
  • Notes, 11 vol. aux éditions Delcourt

La rencontre :

Vendredi 28 novembre 2003, je dois contribuer à l'effort corporatif de la JPL en squattant le stand du salon du livre jeunesse à Montreuil. Ma mission si je l'accepte, est de vendre les numéros des revues, renseigner les gens et répondre aux questions les plus diverses.
Il se trouve qu'en temps normal, ce genre d'activité se déroule tranquillement mais là, c'est la journée des scolaires. Toutes les écoles du coin et du milieu se sont données rendez-vous au salon. Où est le problème avec les scolaires ? Bin, il faut savoir que lorsqu'ils ont quartier libre, les enfants sont livrés à eux-mêmes et arpentent les allées dans un seul et unique but : trouver des articles gratuits.
- Hé, z'auriez pas un poster monsieur ?
- Non, je suis désolé les gars, mais on ne les donne qu'aux acheteurs, on en a un stock limité.
Revanchards, les gosses font alors razzia sur les plaquettes publicitaires qu'ils entassent dans leur sac plastique, et qui finiront sans doute leur vie au fonds d'une poubelle. Rien de bien dramatique donc, mais juste une rengaine assez pénible à endurer.
Il est 15h00 et je peux maintenant vaquer à mes propres occupations. Je retrouve ma soeur Isabelle, spécialement venue de Grenoble afin de rencontrer des éditeurs pour son projet de livre pour enfants. Elle est d'accord pour m'accompagner rencontrer deux auteurs pour une mission Totoro. Direction le premier étage, sur le stand Delcourt où est annoncé Lewis Trondheim puis sur le stand Glénat où je veux rencontrer Boulet.

Bonjour, je suis une ellipse narrative. Je suis assez pratique car je permets de créer une faille temporelle afin de vous mener directement à l'entrevue avec Boulet (pour Trondheim, voir le mois suivant...).

Quand j'arrive, il y a deux gamins devant Boulet qui se font dédicacer à tour de rôle un recueil du magazine "Tchô". Malheureusement pour moi, ils sont très vite rejoints par une horde de camarades à la vivacité certaine et à l'élocution kalachnikov.
- Hey c'est un Titeuf qu'y te dessine ?
- J'sais pas
- Hey les gars, il dessine sur les feuilles blanches? Hey m'sieur vous dessinez sur les feuilles ?
- Si vous êtes pas trop nombreux je peux vous faire un p'tit dessin oui.
- Ouais moi m'sieur
- Ouais moi aussi ! Moi aussi !!! Vas-y file moi une feuille toi !!! Moi aussi m'sieur !!! Hé j'en veux un moi!!!!!
- Euh, oui bin là on oublie alors. A partir de maintenant, je ne fais que les bouquins.
- Wé, et d'abord je suis devant vous moi les gars, alors faites la queue derrière !!
Comment je suis trop un gars courageux moi. Je suis super balèze pour me faire respecter des enfants, attention ça rigole pas hein ?!!! Des enfants d'au moins... pfiooooouuu... 1m60 ?!! Drôlement téméraire le gars Loïc...
Quoi qu'il en soit, toute la troupe libère la place pour partir en quête de nouveaux dessinateurs à persécuter et ça m'arrange bien. Je salue le jeune monsieur qui est en face de moi et je me lance :
- Voilà, j'ai un truc un peu spécial à te demander...
- Une femme à poil ?
- Euh, non... Pourquoi tu dis ça ? (j'ai une tête de satire ou quoi ?)
- Oh, tu sais, tu verrais les trucs qu'on nous demande parfois...
- Bah non hein. Moi c'est tout mignon ce que je veux te demander. Ca te dit quelque chose cet animal?
Et je lui montre dans la foulée ma petite chemise décorée de totoros.
- Non, c'est quoi ?
- Euh, c'est un dessin animé de Miyazaki, tu sais le gars qui a fait Le voyage de Chihiro et...
- Mais oui, je sais bien. Je déconnais, bien sûr que je connais Totoro ! Je suis un vrai fan de Miyazaki, depuis des années. T'en fais pas, je vais prendre mon temps pour te faire un joli dessin. En plus, ça va me faire du bien de dessiner autre chose...
Trop bien ! Je suis comblé parce qu'avec celui de Trondheim, ça va me faire deux totoros aujourd'hui. Et je le dis à Boulet.
- Quoi, il t'a fait un totoro Trondheim ? Tu peux me montrer ?
Je m'exécute (R.I.P) et en voyant le dessin de Lewis il rigole :
- Ah ah, il est un tout petit peu minimaliste ton totoro, non ?
- Boh, j'aime bien moi...
- Mais oui, je plaisante, en plus j'aime beaucoup ce qu'il fait alors...
Lorsqu'il s'aperçoit que d'autres auteurs m'ont déjà fait des dessins de totoros, il me dit être jaloux de ma collection. Puis, tandis qu'il entame son dessin, nous évoquons nos différents coups de cœur Ghibli. C'est un véritable passionné que j'ai en face de moi et très vite, nous en venons à parler d'œuvres plus confidentielles de ses artistes fondateurs. J'en profite pour l'informer qu'Horus le prince du soleil est programmé le temps du festival au forum des images.
- Oui, ben tu vois, on vient dans les festivals et les salons et on s'informe à peine de ce qui s'y passe...
- Bon, il en a encore pour longtemps le monsieur là ?!
Je suis surpris de constater qu'une femme assez impolie derrière moi, souhaite que Boulet bâcle ma dédicace. Il s'agit d'une prof pressée par le temps, contrainte d'attendre qu'un de ses élèves se fasse faire son dessin parce qu'il a acheté l'album. Visiblement, elle s'impatiente. Wé l'autre !!! J'ai pas envie qu'on me bâcle mon dessin moi ! Du coup, avec Boulet on décide de laisser passer le petiot et on continue de papoter.
- Avec ton graphisme cartoon, ça serait sympa que tu dessines un Donjon Monsters. Ca pourrait être une expérience graphique intéressante. (gnark gnark, je dis ça à plein de monde pour voir leurs réactions...)
- Tiens, c'est marrant c'est pas la première fois qu'on me le dit. Sûrement parce que Raghnarok est un peu dans le même genre d'univers. Pourquoi pas...
Boulet reprend ensuite mon dessin (va t-en donc vile membre du corps professoral !), et c'est un vrai régal parce qu'il fignole vraiment jusque dans les moindres détails. Le temps de quelques blablas agréables de plus et je peux admirer le résultat : une splendide fresque. Je suis tellement content, que je décide alors de lui faire cadeau de mes reproductions des dessins totoros faits par tous les auteurs rencontrés auparavant.
Au final, reste une chouette rencontre prolongée quelques temps plus tard avec une interview par mails interposés. Merci pour tout Gilles !

La dédicace :

Raghnarok et Najette sa fée, qui s'endorment sur le plus doux sommier qui soit... Le rêve !

L'interview :

Comment as tu découvert le travail de Miyazaki Hayao?

J'ai découvert Miyazaki il y a une bonne dizaine d'années, je pense. Un magasin spécialisé dans le manga avait organisé une projection de 30 heures de dessins animés d'affilée. Au bout de la 20eme heure, je commençais à sérieusement piquer du nez quand Nausicaä de la vallée du vent a commencé : ça m'a réveillé aussi sec, je suis resté scotché jusqu'à la dernière seconde, après ça a enchaîné sur Laputa et en sortant de la salle j'étais déjà fan absolu.
Le lendemain j'ai été au magasin pour leur acheter ces deux oeuvres, j'en ai eu pour cent francs et je suis reparti avec Nausicaä, Laputa, Totoro et Kiki en version chinoise parce qu'aucune traduction n'existait encore (j'ai appris par la suite que les sous-titres pendant la projection avaient été faits par un étudiant japonais du quartier).

Pourrais tu tenter d'expliquer ce qui t'a subjugué ainsi dans Laputa et Nausicaä?

Ce qu'il faut savoir c'est qu'à l'époque j'étais bourré de préjugés à l'encontre des mangas, pour moi, c'était tout juste du Goldorak, quoi.
Mais j'avais en fait bloqué sur un extrait de Totoro qui était passé dans « l'oeil du cyclone », une émission de l'époque ou Canal + se différenciait du reste des chaînes. En trente secondes j'avais senti une ambiance incroyable : c'était la scène ou les deux soeurs font pousser un arbre géant avec totoro.
C'est pour leurs ambiances que ces dessins animés me fascinent: quand Miyazaki plante un décor, aussi improbable soit-il, on a l'impression qu'il pourrait vraiment exister. On sent presque les odeurs de ses vieilles maisons, on a aussi l'impression de ressentir le moindre souffle de vent. Quand j'ai vu Laputa au cinéma et que le personnage est sur le point de tomber à la fin, toute la salle se crispait sur son siège tellement l'effet de vertige est saisissant. Bref, tout y est juste: les sons, les mouvements (les attitudes des gamines dans Totoro ! N'importe qui ayant gardé des gamins les reconnaît...), les textures (la manière dont Chihiro aide le dieu de la rivière: les effets d'eau et de boue sont incroyables), et l'histoire est toujours riche, intense et intéressante.
En fait c'est ça qui m'a subjugué à cette projection: malgré tous mes préjugés, je n'arrivais pas à trouver quelque chose que j'aurais pu reprocher à ces films.

T'es-tu par la suite intéressé à l'ensemble de la production des studios Ghibli?

La réponse est oui bien sûr, c'est grâce à ça que j'ai pu découvrir des dessins animés comme Goshu le violoncelliste, Le tombeau des lucioles ou Mes voisins les Yamada. J'ai particulièrement aimé ce dernier, qui était vraiment un ovni dans la réalisation et la narration: l'adaptation de strips à l'écran était un exercice assez périlleux, ainsi que le mélange des techniques et pourtant le film est une réussite totale.
D'une manière plus générale, ça m'a ouvert sur le reste de la production japonaise et permis de découvrir des films aussi divers que Perfect Blue, Ghost in the Shell, Jin-roh... Avant Miyazaki, le seul dessin animé japonais que j'avais vu était Akira.

Dans l'oeuvre du studio Ghibli y a t-il un film qui a ta préférence? Peux tu nous en parler?

Alors. Mon Ghibli préféré, je pense que c'est tout simplement Le voyage de Chihiro. Le scénario est peut-être moins riche que celui de Mononoké, mais sur le plan visuel, il est tellement abouti, tellement parfait...
Les personnages sont simples et attachants, et comme très souvent dans les Miyazaki, les méchants ne sont pas vraiment méchants, ou alors pas complètement... Les ambiances de chaque lieu sont bien senties, de la cave ou les petites noiraudes chargent le charbon jusqu'aux luxueux appartements de la sorcière...
Bref c'est vraiment le conte de fées comme on en avait quand on était petits : un univers décalé, terrifiant au premier abord, puis attachant, et tout finit bien. De plus on retrouve ici synthétisés tous les thèmes chers à Miyazaki: les Dieux, la magie, l'environnement...
Je sais qu'on a reproché à ce film d'être moins "intéressant" que Mononoké, plus fait "pour le plaisir": c'est justement ce qui fait qu'il emporte ma préférence.

Es tu toi même influencé par le travail de Miyazaki?

Je pense que oui.
Raghnarok se passe dans la forêt, au milieu des arbres et des animaux... Difficile de ne pas subir dès lors l'influence des dessins animés!
A chaque visionnage d'un Miyazaki j'essaie de comprendre sa technique et d'en enrichir mon dessin. Mes dessins de liquides, notamment : les rivières, les lacs... J'adore dessiner l'eau, et Miyazaki est celui qui en fait les animations les plus convaincantes. Je me suis énormément inspiré de Princesse Mononoké ou du Voyage de Chihiro pour me perfectionner dans ce domaine.