Mis à jour : jeudi 6 octobre 2022

Le château ambulant : Analyse

À sa sortie, Le château ambulant était un des films les plus attendus de l'histoire de l'animation japonaise, la preuve étant le démarrage exceptionnel du film au Japon. Cependant, malgré ce succès public, tous les journalistes nippons n'ont pas vu dans le film de Hayao Miyazaki le chef-d'œuvre annoncé et ont estimé que le réalisateur s'était laissé aller à la facilité. À toutes ses critiques, le producteur Toshio Suzuki a répondu lors de la conférence de presse de l’exposition Miyazaki-Mœbius :

« Miyazaki a toujours réalisé des films en détruisant la grammaire cinématographique. Chaque fois, il a essayé de faire quelque chose de différents et il savait que pour ce film là, il allait se faire critiquer. Mais ce n'était pas important pour lui. Il savait qu'il allait faire quelque chose d'encore plus iconoclaste que ses œuvres précédentes. Ce qu'il voulait faire c'était faire un film qui était important pour les spectateurs d'aujourd'hui. Il savait que Le château ambulant allait être comparé à ses autres films mais il s'inscrit tout à fait dans la démarche de destruction des règles de la grammaire de son cinéma et il était prêt à affronter ces critiques ».

Face à cette nouvelle situation opposant pour la première fois les critiques et le réalisateur, comment aborder le film avec le plus d'objectivité possible ? C'est ce que nous avons tenté de faire avec une approche analytique.

Une œuvre auto-référentielle ?

Une impression de redite étreint parfois le spectateur durant le film. Œuvre auto-référentielle ? Redite de la part du réalisateur ? Salut final ou compilation ? Voici quelques clins d'œil et quelques scènes qui évoquent irrésistiblement le monde de Hayao Miyazaki.

Les mondes magiques du Château ambulant et du Voyage de Chihiro semblent très similaires. Ses thèmes de prédilection sont bel et bien là, sans de réels enrichissements formels. Ainsi on retrouve une scène de personnages en état d'apesanteur, rappelant la chute de Haku. Vers la fin, Hauru tombe sur le sol, sous sa forme d'oiseau et les plumes s'envolent, citation quasiment textuelle de la transformation du dragon en Haku. On retrouve également une crise de sanglot avec des larmes énormes rappelant les grosses gouttes qui ruisselaient sur le visage de Chihiro. On remarque aussi des magnifiques scènes de vol sublimant des engins volants semblant tout droit sortis du générique du Château dans le ciel ou de Nausicaä de la Vallée du Vent. Enfin, la bague que remet Hauru à Sophie pour lui indiquer son chemin jusqu'au château ambulant, semble faire référence à la pierre magique de Sheeta qui pointe de la même manière la cité volante de Laputa.

Des plans entiers des scènes de dialogues entre Kiki et le chat Jiji sont appliquées cette fois à Sophie et le chien Hihn, qui cavale à coté d'elle. On retrouve aussi des motifs graphiques sortis de la filmographie de Miyazaki, comme les hommes-caoutchoucs, rappelant le sans-visage de Chihiro.

Les thèmes de prédilection du réalisateur sont bien évidemment présents : scène de vols et courses poursuites aériennes bien sûr, force de caractère de l'héroïne principale, absence de manichéisme. Ainsi, les personnages de « méchants » sont ambigus. La terrifiante sorcière des Landes du début s'avère être un personnage drôle et inoffensif après avoir perdu ses pouvoirs. Suliman, sous des aspects doux et posés, peut s'avérer terrible.

Mais attention, d'autres scènes peuvent être comprises comme des redites totales quant à la mise en scène de Miyazaki, alors qu'elles ne sont qu'une reprise fidèle du roman. Ainsi, Hauru se couvre d'une substance verte qui s'étend lentement rappelant inévitablement le Dieu-cerf dans Princesse Mononoke. Or cette scène et cette description se trouve mot pour mot dans le chapitre 2 du livre de Dianna Wynne Jones, écrit des années avant les aventures de San et Ashitaka. Ces deux univers entrent donc ici en totale fusion, et il suffit à Miyazaki de prêter sa mise en scène et son graphisme à l'univers de l'auteur anglais.

Il est vrai qu'en réfléchissant bien et comme le remarque très justement l'article de Sébastien Célimon dans le numéro 107 d'Animeland, qu'on peut comprendre toutes ces « redites » comme la volonté pour Miyazaki de présenter une compilation de sa filmographie, une sorte de clôture à un cycle. Il est à noter que cette fois-ci, selon Toshio Suzuki, Miyazaki n'a pas ressorti son histoire de mise à la retraite anticipée et qu'il aurait même déclaré qu'il souhaitait rester encore actif une dizaine d'années...

En revanche, Le château ambulant tranche vraiment par rapport à d'autres aspects de la filmographie du réalisateur. En effet, Miyazaki assume pour la première fois une histoire d'amour assumée jusqu'à la fin par un baiser. Auparavant, les amours de Marco et Gina ou Ashitaka et San n'aboutissaient pas à l'écran. Seule une scène entre Fio à Marco montrait un baiser mais pour des raisons évidentes de référence aux mécanismes du conte de fées. Ici, on assiste à une véritable love story. Mais nous reviendrons sur cet élément à la fin de l'analyse.

Autre nouveauté notoire : Hihn n'est pas sans évoquer les sidekicks de Disney (à la différence que Hihn est bien moins bavard !). Le vieux chien accompagnant l'héroïne pourrait rappeler le rat et l'oiseau dans Le voyage de Chihiro. Il ne semble n'avoir qu'un but, celui de faire le pitre à des moments critiques ou tendus. Mais là où Bô et Yubâ-bird apportaient une touche de légèreté, Hihn apparaît plutôt comme un ressort comique un peu lourd, et parfois même en trop. Sa présence jusqu'à la fin du film peut cependant être assimilée à un rôle de témoin pour Suliman des mésaventures de Hauru et Sophie.

De même, Miyazaki se lance dans une évocation du voyage temporel (esquissé légèrement dans Chihiro). Ce passage ne figure absolument pas dans l'ouvrage original et relève de la pure imagination de Miyazaki. En effet, à la fin, Sophie se retrouve projetée dans le passé et assiste à la scène d'où tout est parti, la clé de voûte de l'énigme du Château ambulant : elle voit le sorcier, encore enfant, donner son cœur à Calcifer. Avant de se retrouver projetée dans le présent, elle a le temps de crier au démon et à Hauru : « Je suis Sophie. Attendez-moi dans le futur ». On comprend donc que depuis le début, Hauru et Calcifer connaissent Sophie et attendent désespérément que celle-ci lève leur malédiction. Cela explique alors la relative facilité avec laquelle Sophie pénètre dans le château, l'obéissance de Calcifer ou encore l'extrême tolérance de Hauru à son égard. Tous deux savent qui est Sophie, mais ne peuvent le révéler, puisque leur malédiction ne peut être prononcée par aucun d'eux.

Le monde des apparences : « un cœur changeant est la seule pérennité ici-bas. »

Le message de Hauru, derrière une apparente simplicité, est bien plus complexe qu'il n'y paraît. D'une simple approche sur la vieillesse, on peut ensuite y lire plusieurs niveaux de réflexion autour des apparences, des faux semblants et des masques. De fait, Sophie est le personnage emblématique de cette thématique. Elle apparaît au départ sous une apparence juvénile, mais sa belle-mère la qualifie de jeune fille bien trop sérieuse, vieille avant l'âge. Passé le premier choc de sa métamorphose, il est donc normal qu'elle se fasse très vite à ce nouveau corps, ce visage creusé de rides. Cette malédiction n'est dès lors plus un fardeau, et peu à peu, Sophie adopte ce corps fatigué et s'en accommode plutôt bien, puisqu'il correspond à son état d'esprit : « je n'ai jamais connu une telle sérénité » dit-elle, quelque temps après son installation au château.

Mais parfois, à des moments clés, Sophie lève le sort et redevient une belle jeune fille. Lorsqu'elle défend avec passion le jeune sorcier, lorsqu'elle lui avoue dans ses rêves son amour, ou encore quand elle dort, les autres pouvant la voir sous sa forme juvénile. Mais le moindre doute, la moindre peur la ramènent à son corps de vieille femme : « On a peu à perdre quand on est vieille » confie-t-elle à Hauru. Comme elle l'explique dans un accès de colère, elle se sent laide, et l'on peut penser que son apparence de vieille femme la conforte ainsi dans sa vision. En acceptant sa beauté, son amour pour Hauru, elle rompra le charme et pourra devenir enfin cette belle jeune fille dont Hauru est épris. Ce jeu des apparences est manié constamment par Hayao Miyazaki, qui représente ainsi les états d'âme de Sophie au fil du film par des multiples changements.

Mais ce jeu des apparences ne s'arrête pas ici et chaque personnage a sa propre carapace, son double antithétique le protégeant des agressions extérieures. Evidemment, le personnage de Hauru n'échappe pas à la règle. Tout d'abord, afin de fuir les responsabilités, il endosse de multiples identités, tantôt M. Pendragon, tantôt M. Jenkins. Ensuite, il ne cesse de changer de couleur de cheveux, ce qui peut être interprété comme une recherche de soi, mais aussi une fuite en avant. Enfin, depuis son pacte avec Calcifer, lui aussi souffre d'une transformation éprouvante, en se transformant en un terrifiant rapace, et cette métamorphose violente l'éloigne peu à peu de sa véritable nature, comme le souligne Suliman et Calcifer. Dans la scène du rêve, on l'aperçoit même terrifié fuyant les regards de Sophie. Toutes ces métamorphoses lui permettent de fuir à la fois les autres et lui-même. Seul l'amour persévérant de Sophie lui apportera le courage, mais aussi le repos et la stabilité.

Marko se transforme lui aussi en vieillard pour pouvoir sortir à l'extérieur, et le moment où ce costume disparaît est l'instant où il craint le départ de Sophie et lui avoue son affection pour elle. Là encore le masque se fissure sous l'émotion.

Ces cœurs changeants sont donc ici symbolisés par ce jeu de sortilèges transformant l'apparence. Les humeurs transparaissent finalement à travers ces costumes que les personnages endossent au gré de leurs émotions, fuyant bien souvent leurs véritables sentiments derrière ce masque, qui parfois cependant se fendille pour laisser apparaître la vérité.

Miyazaki joue même avec les codes représentatifs du costume pour tromper son spectateur. La sorcière Suliman a tous les attributs de la sage et éclairée magicienne et s'avère finalement la plus manipulatrice et machiavélique des sorcières. Cette fausse apparence est également valable pour le personnage de Navet, dont la drôle d'allure de bout de bois à tête de légume ne laisse pas imaginer l'identité royale. Le chien Hihn est encore plus mystérieux, puisque Miyazaki nous laisse d'abord supposer qu'il s'agit de Hauru, puis nous comprenons qu'il s'agit d'un messager fidèle de la perfide Suliman, pour enfin s'avérer un compagnon et un guide pour Sophie.

On assiste donc à une véritable valse des identités et des apparences, changeant au gré du film et des émotions de chacun des personnages, Miyazaki promenant son spectateur au cœur de cette galerie de métamorphoses vivantes.

Le conte revisité par Hayao Miyazaki

Un des aspects fondamentaux du Château ambulant est la façon dont Hayao Miyazaki aborde l'univers traditionnel du conte. En fait, il reprend ici le ton même de l'œuvre de Dianne Wynne Jones. En effet, comme dans le roman, le réalisateur se joue de ces codes immémoriaux auxquels le spectateur est habitué depuis sa plus tendre enfance.

Ainsi, et pour l'une des premières fois chez Miyazaki, tout se joue principalement autour d'une pièce principale, le foyer du château, véritable scène de tous les drames, jusqu'à sa dislocation finale. Le pari est risqué à plus d'un titre, car il faut sans cesse renouveler la vision de cet espace, ce que fait avec habileté Miyazaki. Ce procédé rompt avec une des caractéristiques du conte qui est la quête initiatique, où le héros part pour de nouveaux horizons pour se confronter à un univers inconnu. Ici, non seulement Sophie reste toujours près de chez elle, voire, vers la fin, se trouve réellement à domicile, mais elle bouge peu de son territoire qu'est devenu le château.

Miyazaki s'amuse également à reprendre des éléments du conte et à les utiliser de manière incongrue. Ainsi, il joue sans cesse avec la symbolique du feu, métaphore évidente sur la passion et sur l'amour. Ici, Miyazaki en fait même le cœur de Hauru, qui se consume littéralement. La sorcière des Landes, folle amoureuse du jeune sorcier, lui vole littéralement son cœur et en l'étreignant trop violemment le fait peu à peu s'étouffer et s'éteindre. Miyazaki semble prendre au pied de la lettre les clichés liés à l'amour et les utiliser ainsi de manière comique ou dramatiques. Suivant le même procédé, lorsque Hauru, suite à une crise de colère insensée, se couvre d'une substance verte, on pense à un danger réel pour lui, une menace de mort qui effraie Sophie. Mais au final, on apprend qu'il s'agit d'une inoffensive crise de bile et qu'un simple bain remettra d'aplomb le jeune homme trop susceptible. Là aussi, Miyazaki semble se jouer d'une simple expression pour lui faire prendre une acception bien plus réaliste.

Tout au long du film, Miyazaki laisse également un fil conducteur : l'étoile. Elle apparaît dès le début, lorsque Sophie arrive dans le château. Elle donne à Hauru un petit papier qui se révèle être une malédiction. On s'aperçoit qu'il s'agit d'une étoile filante. Plus tard, Suliman tentera de piéger Hauru en lui lançant un sort, qui prend la forme d'une ronde d'étoiles filantes encerclant le sorcier et Sophie. Puis, notre héroïne découvrira la clé de cette énigme : Calcifer était un démon sous forme d'étoile filante, avec qui Hauru passera un pacte. Cette découverte marquera à jamais Sophie, dont les cheveux resteront gris, comme la couleur de l'étoile, comme si la découverte de l'énigme devait à jamais la marquer. A posteriori, on comprend alors que la sorcière des Landes a toujours su elle aussi la malédiction de Hauru, d'où son message et son intérêt pour Calcifer. Cette symbolique de l'étoile est un des thèmes récurrents de l'univers du conte : les rois mages et l'étoile polaire, le mythe de Castor et Pollux se transformant en étoile, Le Petit Prince... Mais dans Le château ambulant, Miyazaki renverse encore une fois la symbolique. Là où habituellement l'étoile évoquait l'espoir, l'accomplissement d'un vœu, le miracle, l'astre devient ici une malédiction, un sort puissant qui poursuit Hauru tout au long de l'œuvre, et qui marquera à jamais Sophie.

D'autres éléments sont tout droit issus de l'univers du conte : Navet n'est pas sans rappeler l'épouvantail dans Le magicien d'Oz et, par ailleurs, Sophie lui rend son apparence en lui donnant un baiser, référence évidente au mythe du prince charmant qui sommeille en chaque grenouille ! L'univers de Kingsbury évoque aussi irrésistiblement le monde magique des châteaux de princesse. Le nom de Pendragon n'évoque-t-il pas irrésistiblement le nom du père du roi Arthur ?

Mais le fait le plus marquant reste cependant cet étrange happy end, ce semblant de « il se marièrent, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants » ! Comme nous l'avons écrit précédemment, c'est la première fois que Miyazaki assume pleinement une relation amoureuse. Mais c'est aussi probablement l'unique fois où son dénouement semble aussi idyllique, stéréotypée et définitive. Habituellement on sait que, par une fin ouverte, Miyazaki laisse au spectateur le soin d'imaginer n'importe quelle suite à son aventure. Mais en observant de plus près la fin du Château ambulant, on peut se pencher sur quelques éléments qui permettent de nuancer ce point de vue. Tout d'abord, la déconcertante attitude de Suliman semble nous délivrer un message : cette terrible guerre n'est en fait qu'une simple bataille d'ego de sorciers qui jouent avec leurs sujets comme de vulgaires pions. Suliman se lassant de ce jeu, elle décide de stopper cette guerre apocalyptique comme un enfant arrêtant sa partie de Monopoly. Le message est donc bien plus fort que l'apparente désinvolture avec laquelle Miyazaki semble traiter le sujet.

Ensuite, ce baiser final et cette vision idyllique de la petite famille à bord du château ambulant (et visiblement reconstruit !) peut dérouter les amateurs de Miyazaki. Un happy end aussi facile et prévisible chez notre réalisateur nippon ? Serait-ce possible ? Mais restez bien sagement assis jusqu'au générique et lisez bien les sous-titres de la chanson finale :

[...] Même seule maintenant,
Je me souviens de notre hier à deux,
Aujourd'hui brille encore des mille feux

Du jour où nous nous sommes rencontrés
Dans mes souvenirs, tu n'as nulle part ta place
Mais, devenu Zéphir, tu caresses mes joues de ton souffle

Même après notre séparation,
A l'heure où le soleil disparaissait dans les arbres
La promesse du monde n'est pas du tout rompue

Même seule maintenant,
Mes lendemains sont infinis
Car, tu me l'as appris, la douceur se cache au sein de la nuit
[...]

Faisons alors une comparaison avec un conte animé classique comme Aladdin. Imaginons la scène finale où Yasmine et son prince s'évadent vers les cieux. À ce moment là commencerait la chanson de générique qui nous parlerait de séparation, d'un amour passé et révolu, dont une chanteuse se souviendrait avec émotion... Cela ne vous semblerait-il pas incongru au regard des images d'amour éternel que renvoient nos deux tourtereaux ?

Dans le film de Miyazaki, cette association inattendue est pourtant utilisée. Le dénouement au message idyllique se teinte alors d'une nostalgie nouvelle et étrange : Quel avenir dès lors pour nos personnages ? Un évènement va-t-il séparer Hauru et Sophie ? Leur amour serait-il menacé ? Comme le dit Hauru, « un cœur changeant est la seule pérennité ici-bas », et notre couple n'est peut-être donc pas celui des contes de fées, où les amants se jurent serment de fidélité jusqu'à la fin des temps.

Evidemment, pour nous, spectateurs occidentaux, cette association peut nous sembler ténue, mais cela demeure troublant pour un japonais qui entend ces paroles, là où nous devons nous contenter de sous-titres. Il ne s'agit bien entendu que d'une interprétation parmi les autres que devrait susciter ce dénouement, mais cela nuance tout de même sérieusement cette fin un peu sirupeuse, comme si Miyazaki ne voulait pas assumer jusqu'au bout cette histoire un peu trop conventionnelle. À vous de décider !

Quelques critiques

Il faut admettre dès le début que Le château ambulant n'est sans doute pas le meilleur film de Hayao Miyazaki. Non pas qu'il soit raté, loin de là, mais le film, malgré sa beauté et sa virtuosité maîtrisée, semble moins en état de grâce que ses précédentes réalisations. Il s'agit d'une déception, mais d'une déception cependant relative ! Ce n'est pas encore aujourd'hui que Miyazaki nous livre un film juste passable. Cependant, pour la première fois dans l'histoire de Buta Connection, nous émettons, comme vous allez le constater, quelques réserves.

On ne peut pas cataloguer le film comme l'une des œuvres les plus personnelles de Miyazaki. Il est d'ailleurs amusant de remarquer que Kiki, la petite sorcière est souvent cité comme son long métrage le plus conventionnel. Or on remarque des similitudes quant aux conditions de production avec Le château ambulant. Tout comme pour Kiki, Miyazaki a récupéré le poste de réalisateur en cour de développement et n'est pas à l'origine de l'histoire.

La déception est peut-être également un signe des limites de la technique de travail particulière de Miyazaki. En effet, on sait que le réalisateur nippon n'est pas un adepte des scénarios écrits à l'avance et préfère attaquer des croquis d'ambiance et le storyboard, l'histoire se construisant au gré des inspirations. Or, dans Le château ambulant, l'action semble parfois prendre des chemins étranges et inattendus, et le spectateur perd parfois le fil du scénario. Cette technique, qu'aucun autre studio n'aurait osée pour des raisons évidentes, a peut-être ici désuni la continuité narrative.

Mais dès que l'on cesse de l'analyser, le film est une merveille pour les yeux et la mise en scène de Miyazaki est toujours un modèle et de fluidité. Les péripéties, complètement irrationnelles mais toujours crédibles, se succèdent à un rythme étourdissant. Comme d'habitude, la musique de Joe Hisaishi est là pour magnifier l'image, bien qu'elle semble parfois un peu noyée dans l'action, tout en étant par instant un peu répétitive. La petite pointe de dépit concernant le manque de renouvellement des motifs graphiques et scéniques est compensée par des trouvailles réjouissantes. Il y a tout de même plus d'idées dans le film que dans toute la filmographie de certains réalisateurs... Par exemple, le visuel du château ambulant est un des points forts du film, transformant cet amas de ferraille en un personnage à part entière.

Une des critiques qui reviendra probablement souvent dans les journaux est l'apparente confusion qui règne dans cet univers. Cependant, après un deuxième visionnage, on s'aperçoit rapidement que le scénario est complexe, maîtrisé et méticuleusement pensé. La narration, la multiplicité des thèmes et des sous-intrigues s'entremêlant sont riches, à l'image des dernières réalisations de Miyazaki. Le spectateur suit ainsi un véritable parcours, découvrant au fur et à mesure les différentes trames de l'aventure sans en saisir forcément la portée immédiate. Ainsi, le récit débute sur la romance avec Sophie, sur laquelle se greffe une histoire de jalousie et de revanche entre la sorcière des Landes et Hauru. La sorcière semble d'ailleurs être la grande « méchante » du film, dans l'esprit du personnage de Yubâba, mais entre en scène, vers la moitié du récit, le personnage de Suliman. On réalise alors qu'au final, toute cette histoire et ses tenants ne sont qu'une guerre de pouvoir et d'ego entre magiciens. Cette complexité rend les motivations des personnages plus difficiles à saisir. Au final, le spectateur est parfois un peu perdu et se demande où le réalisateur veut l'emmener. Ce parti pris scénaristique était un pari risqué, et il faut bien avouer que Miyazaki ne l'a pas entièrement remporté.

Pour conclure

Nous nous permettons de vous donner un petit conseil : loin de nous l'idée de gonfler artificiellement les entrées du film en salles, mais soyons honnêtes, un second visionnage ne fait pas de mal pour apprécier le film à sa juste valeur et peut-être se réconcilier avec le savoir-faire de Hayao Miyazaki ! C'est bien ce qu'il nous a fallu -avec en plus de nombreux brainstormings- pour écrire cette analyse. Et il reste sans doute encore de nombreuses pistes à explorer que nous n'avons pas évoquées. À vous désormais de vous amuser à démêler tous les fils de cet écheveau aussi intriguant qu'éblouissant !