Mis à jour : mardi 1 octobre 2019

Exposition Miyazaki-Moebius : Génèse

Giraud/Moebius : une seule personne, deux visages

Un petit rappel biographique et bibliographique n'est pas déconseillé pour aborder Moebius, tant cette figure de la BD apparaît comme énigmatique, et son œuvre foisonnante. (Nous n'aborderons pas l'œuvre et la bio de Miyazaki, car il existe un site très bien vous expliquant tout cela... Suivez mon regard !).

Jean Giraud est né en 1938 à Nogent sur Marne. Il se passionne dès son plus jeune âge pour le dessin et passe deux ans à l'Ecole des Arts Appliqués, pour se lancer en 1956 dans la vie professionnelle. Après un séjour au Mexique qui le marquera profondément, il effectue ensuite son service militaire en Allemagne et en Algérie et continue le dessin par le biais d'une revue militaire.

A son retour dans la vie civile, il apprend les rudiments de la BD auprès de Joseph Gillain et réalise avec lui son premier album : La piste de Coronado, de la série des Jerry Spring.

En 1963, il rencontre Jean-Michel Charlier (qui co-dirige Pilote) et créé avec lui les aventures de Blueberry sous le pseudonyme de « Gir ». Cette saga connaît des parutions régulières et a fêté ses 40 ans avec la sortie de OK Corral en 2003. Le style dépasse le cadre de la BD franco-belge, puise son inspiration dans le cinéma de Sergio Leone ou de John Ford. Mais il s'agit encore de l'aspect « classique » de l'art de Giraud.

Blueberry, héros du western selon Giraud

En effet, parallèlement à cette activité, Giraud entame une autre carrière sous le nom de Moebius. Cet autre aspect de son œuvre trouve ses sources dans un deuxième voyage au Mexique en 1965, où il expérimente les champignons hallucinogènes et se plonge dans le monde du chamanisme. Il se passionne dès lorspour le monde de la SF. Il commence à dessiner dans un style différent, plus adulte, qui marquera définitivement le mondedu neuvième art. Celui-ci peut alors sortir du monde censuré et limité de la BD jeunesse et s'épanouir dans un nouvel univers. Sous le pseudonyme de Moebius, Giraud créé ainsi en 1975 avec Jean-Pierre Dionnet (oui, oui, le monsieur Cinéma de quartier de Canal + !) le cultissime magazine Métal hurlant, où il explore le monde de la SF, dans un style onirique.

Il continuer à explorer ce genre à travers le cycle du Monde d'Edena, où il aborde d'une manière presque philosophique la question du rêve, du conditionnement de l'homme, de la folie du pouvoir, …

Stel et Atan explorant le monde d'Edena

Moebius collabore également avec le monde du cinéma. Il rencontre Alexandro Jodorowsky, cinéaste et poète chilien, avec lequel il travaille sur l'adaptation de Dune, roman réputé inadaptable de Franck Herbert. Si le projet échoue, les deux artistes vont en revanche créer ensemble la saga de l'Incal en 6 volumes.

Ce contact avorté avec le monde du cinéma ne va cependant pas rebuter Moebius, puisqu'il va ensuite travailler sur Les Maîtres du Temps du regretté René Laloux, sur Alien de Ridley Scott, ou encore Abyss de James Cameron, sans compter ses incursions dans le monde des jeux vidéos ou dans l'illustration.

Giraud, Gir ou Moebius, tous ces noms ne forment qu'un seul et même homme, à l'œuvre prolifique et variée, considéré comme un des plus grands et talentueux créateurs de la BD française, un véritable créateur d'univers, marquant le neuvième art de manière indéniable et indélébile.

Deux hommes, deux cultures, une rencontre

Entre Moebius et Miyazaki, peu de points de commun de prime abord. Cultures différentes, parcours dissemblables,… Mais c'est sans compter une rencontre fortement improbable entre ces deux maîtres du dessin.

Rencontre au Musée Ghibli entre Giraud et Miyazaki

Moebius a découvert le travail de Miyazaki de manière un peu clandestine. En 1986, alors qu'il vivait à Los Angeles, il découvre une cassette pirate apportée par son fils Julien, scolarisé dans une école franco-américaine. En effet, il existait à l'époque un véritable réseau d'échanges de cassettes vidéos d'animés japonais, provoqué par l'arrivée de la série Robotech dans l'émission du « Saturday Morning », seul espace dévolu à l'animation japonaise aux USA. Dans ces fameuses cassettes pirates, on pouvait alors trouver le pire comme le meilleur.

Un jour, le jeune Julien ramène une des ces œuvres pirates, sans nom, sans titre, sans même doublage ou sous-titres. Moebius est alors fortement impressionné par ce film, sa beauté sans précédent et sa force narrative. Il est immédiatement conquis par le génie de ce réalisateur inconnu mais pense alors qu'il s'agit là d'une tentative unique d'un auteur qui ne rencontrerait probablement jamais aucun succès. Il découvre ensuite que le réalisateur s'appelle Miyazaki, et que cette œuvre s'appelle Nausicaä de la Vallée du Vent . Il apprend également que Miyazaki a déjà travaillé pour la TV japonaise et qu'il prépare un prochain film, intitulé Laputa. Il commence alors à s'intéresser de plus près au travail de Miyazaki. Laputa lui confirme l'extraordinaire talent du réalisateur japonais. Il suit désormais toute la filmographie de Miyazaki, « chaque film dépassant en qualité le précédant et dans une fidélité extraordinaire aux thèmes et à l'esthétique ».

Nausicaä vue par Moebius / Arzak vu par Miyazaki

Moebius s'inscrit alors publiquement dans cette admiration qui se concrétise rapidement en 1987 par une première brève rencontre avec Miyazaki au Japon où il exprime son admiration au réalisateur. Il découvre de son coté que le réalisateur japonais connaît son travail (Miyazaki a découvert Arzak au début des années 80) et trouve des résonances communes dans leurs œuvres respectives. Cette première prise de contact se transforme grâce un second voyage de Moebius et de sa famille (dont sa fille Nausicaä !!!), vers la fin des années 90. A cette occasion est organisée une rencontre plus conséquente entre lui et Miyazaki. Moebius fait également la connaissance de Toshio Suzuki et de toute l'équipe du studio Ghibli. C'est à la suite de cette rencontre qu'est née l'idée d'une exposition conjointe à Paris, qui peu à peu s'est associée avec la sortie du Château Ambulant.

Le pourquoi de l'exposition

Il est évident que la sortie du Château ambulant en janvier 2005 fut l'un des moteurs fondamentaux de cette exposition. Surfant sur l'engouement exponentiel pour l'œuvre de Miyazaki en France, Buena Vista (Disney) a décidé de pousser plus loin le phénomène et de sortir Miyazaki de son rôle de réalisateur pour exposer son oeuvre dans un musée et le présenter comme un véritable artiste.

Connaissant le respect mutuel entre Miyazaki et Moebius et leurs influences mutuelles, il a été choisi de faire une exposition où les œuvres de l'artiste japonais et de l'artiste français se répondent.

C'est la première fois qu'une exposition a lieu sur le réalisateur nippon hors du Japon. Selon M. Suzuki , cela gênait beaucoup M. Miyazaki d'imaginer une exposition fondée uniquement sur son nom. Le réalisateur aurait accepté l'idée de l'exposition parce qu'elle associait son nom à celui de Moebius et qu'il ne pouvait pas refuser cet évènement dans de telles conditions.

Le fait de faire entrer l'animation et la BD dans un musée est également une des idées fortes de l'exposition. Les métiers qui entourent le cinéma, l'audiovisuel, peinent à trouver leur place et à être reconnus comme art majeur. Ainsi, depuis des dizaines d'années, Isabelle Giraud s'occupe des expositions axées sur le travail de son mari, à travers le monde entier (Allemagne, Finlande, Hollande...). Mais en France, hormis Angoulême, temple sacré de la bande dessinée, la demande pour ce type de manifestation n'existe pas. Hormis quelques dessins exposés à la fondation Cartier, ce type d'évènement est très rare et difficile à organiser dans les milieux des arts plastiques et de l'art contemporain. L'exposition Miyazaki-Moebius au musée de la Monnaie de Paris s'inscrit donc dans une démarche militante : proposer une véritable exposition sur Paris dans un lieu prestigieux sur l'animation et la BD.

En dehors de cet endroit, il n'existe pas vraiment de lieu de reconnaissance pour l'art de la bande dessinée et du cinéma d'animation, ce qui est profondément regrettable. Isabelle Giraud espère notamment que ce type d'exposition permettra d'ouvrir les portes de plus grandes salles d'exposition sur Paris par la suite (Il faut savoir qu'en premier lieu, une exposition sur l'ensemble de l'œuvre de Giraud devait avoir lieu au Louvre, mais que le projet a été brusquement interrompu).