Mis à jour : lundi 12 septembre 2022

Horus, prince du soleil : Origines

Comme toutes les grandes révolutions, la genèse d'Horus, prince du soleil s'est faite dans l'adversité. Afin d'apprécier le film à sa juste valeur, il est bon de le remettre dans son contexte et de revenir sur le Japon de la fin des années 50.

En 1956, la Tôei ouvre un département consacré au cinéma d'animation, baptisé Tôei Dôga (future Tôei Animation), dont le but est d'essayer de produire un long métrage d'animation par an et d'offrir ainsi une réponse commerciale japonaise aux longs métrages d'animation américains, notamment ceux de Walt Disney. En 1958 sort le premier long métrage en couleurs du cinéma d'animation japonais : Hakuja-den (Le serpent blanc) de Taiji Yabushita. Mais la Tôei Dôga doit rapidement composer avec la télévision, le nouveau média émergeant. En 1961, Osamu Tezuka, père du manga moderne et ancien collaborateur malheureux du studio, fonde sa propre société, Mushi Productions, et à partir de 1963, c'est l'explosion de sa série TV, adaptée de son manga, Tetsuwan Atomu (Astro, le petit robot). Cette série va changer l'approche de l'animation au Japon pour l'adapter à des contraintes de production télévisuelle (réduction des délais de production et donc réduction de qualité générale du résultat final) et ainsi créer un fossé avec l'animation destinée aux salles de cinéma.

La même année, la Tôei Dôga contre-attaque avec sa première série télévisée, Ôkami Shônen Ken (Ken, l'enfant-loup) et confie notamment la réalisation de quelques épisodes à Isao Takahata, alors simple assistant réalisateur, entré à la Tôei en 1959 sur le 4ᵉ film du studio, Anju to Zushiô-maru (Anju et Zushiô-maru). C'est sur la production de Ôkami Shônen Ken qu'il rencontre un certain Hayao Miyazaki, qui apprend son métier au poste d'intervalliste et qui, comme le veut des faits maintenant bien connus, se lance dans l'animation, toujours en cette année 1963, après le choc visuel de deux films : La bergère et le ramoneur (qui deviendra Le roi et l'oiseau) et La reine des neiges de Lev Atamanov. Les deux hommes partagent les mêmes influences occidentales : la littérature et les contes, Paul Grimault pour les réalisateurs. Las de la mièvrerie assumée et encouragée par la Tôei de la production de dessins animés japonais, ils ambitionnent de rénover le genre afin de toucher le public adulte.

Mais il leur faudra encore attendre un peu car à cette époque, les conditions de travail sont exécrables pour continuer à permettre à la Tôei Dôga de sortir un long métrage d'animation en couleurs de qualité par an et s'adapter aux rythmes aliénants imposés par la télévision. Le succès des séries télévisées s'élabore au détriment de la popularité et de la qualité des longs métrages. Les effectifs enflent pour garder le rythme en même temps que les tensions éclatent entre certains animateurs et la direction de la Tôei. Cette dernière fini par autoriser la formation de syndicats. C'est lors de réunions syndicales que les liens entre Takahata, Miyazaki et Yasuo Ôtsuka, témoin des bégaiements du studio dès 1956 et secrétaire général du syndicat, se renforcent. Ils commencent à s'intéresser à ce que font les uns et les autres, débattent de ce que doit être le cinéma d'animation et des films qu'ils veulent faire ou qu'ils veulent voir au cinéma.

C'est Ôtsuka qui est à l'origine de l'idée de produire un film dont le style et l'intrigue ne seraient pas réservés qu'aux enfants mais capables de divertir toutes les générations. Les trois hommes, très engagés et très actifs syndicalement, jouent de cette position pour faire céder la direction. Soutenus par certaines personnalités influentes, notamment par Yasuji Mori, l'un des plus grands animateurs japonais, ils vont réussir à imposer leur vision de l'animation.

Isao Takahata, Hayao Miyazaki...

... Yasuo Ôtsuka, Yasuji Mori et Yôichi Kotabe : la « dream team » d'Horus, prince du soleil.

Mais face à l'engouement du public pour les séries TV dès leurs apparitions, la réalisation de longs métrages relève encore plus de la gageure. En 1965, la direction de la Tôei Dôga, qui ne désespère cependant pas de continuer à attirer les spectateurs en salles, approche Ôtsuka pour mettre en chantier un nouveau long métrage. Le projet sera Horus, prince du soleil. Ôtsuka, qui a saisi l'envergure du potentiel de Takahata et Miyazaki, trouve là l'occasion de réunir et de laisser s'épanouir les deux talents. Il décide de les chaperonner et laisse à Takahata le poste de réalisateur. Sur Horus, prince du soleil, Miyazaki est lui crédité à la construction scénique pour son énorme travail sur les décors via le layout (étape en aval du story-board, qui consiste en la décomposition des éléments - format, décors, placement des personnages - nécessaires à création d'un plan). Ôtsuka se réserve le poste de directeur de l'animation. Cette « dream team » est complétée par Mori, qui les rejoint après une première interruption de production et Yôichi Kotabe. Ce dernier, animateur adjoint et élève de Mori, se lie également d'amitié avec Takahata, Miyazaki et Ôtsuka au cours des productions antérieures de la Tôei Dôga.